7 octobre 1790 : acte de Thomas Viel, huissier à cheval au Châtelet de Paris, à la requête du sieur Pierre Auber, ancien fabriquant demeurant à Darnétal, accorde à la municipalité de Routot à titre de fermage et loyer :

1- les étaux de la halle boucherie, des places de marchands de laine et autres moyennant le prix et somme de mille livres par chacun an ;

2- la halle à la toile et le bâtiment pratiqué à l’angle méridionale et occidentale de la dite halle à la toile avec les étaux non loués à l’année sous la dite halle à la toile qui se payent annuellement ; la dite halle au prix et moyennant la somme de 592 livres par chacun an ;

3- la halle à blé et autres grains avec les ustensiles en dépendances au prix et moyennant la somme de 250 livres par chacun an, déclarant réserver exclusivement à son profit ledit sieur requérant la bâtiment de la juridiction et de la conciergerie tenant à la dite halle comme lieu de sa recette ordinaire ;

4- les 7 greniers pratiqués sur les dites halles boucherie, à la toile et à blé ; et les deux autres petits greniers sur la dite halle boucherie aussi pratiqué depuis peu au prix et moyennant la somme de 200 livres par chacun an et cinq vergées ou environ de terrain qu’il possède en toute propriété de l’ainesse Pinchepin, membre d’une partie féodale sur laquelle est ladite juridiction, la dite halle à blé, le marché aux bestiaux, et la grande marre dudit marché au droit des anciens comtes de Montfort, de Rieux et de Harcourt (…) au prix et moyennant la somme de 100 livres par chacun an…

19 décembre 1825 : pétition présentée par la commune de Routot au sous-préfet de Pont-Audemer. Mr Vicquelin s’oppose à la vente préférant la location. Décision favorable à M. Vicquelin s’appuyant sur la proclamation du roi du 2 août 1790. L’article 545 du Code et la loi du 8 mars 1810 ne font pas d’exception pour les halles et places publiques qui peuvent être expropriées pour cause d’utilité publique.

8 octobre 1828 : lettre de M. Vicquelin au sous-préfet de Pont-Audemer (M. le marquis de Sainte-Marie) : « Dès lors que le prix de 130 000F pour la vente des halles et places de marché de Routot est regardé comme évidemment très exagéré, je persiste à préférer en faire bail à la commune malgré les mauvais procédés dont M. le maire a usé à mon égard et à l’égard de mes fermiers, notamment depuis deux ans (…) Je consens louer les halles, hallettes, bancs, chouquets, ranciers, letaux, quatre boutiques tenant à la halle boucherie et la place servant à la tenue du marché de Routot en toutes circonstances, dépendances, sous la seule exception des loyers, greniers et cafés que je me réserve expressément comme n’étant pas destinés à l’étalage ni au service du marché, entenant louer, tant et autant, ni plus ni moins qu’en tiennent actuellement les sieurs Travers et Saussaye et qu’il en a été affermé suivant adjudication publique reçue par Me Pillon, notaire à Routot, le 26 octobre 1814. (…) le prix annuel du bail sera de 3600F payable à la demeure du bailleur ferme du Roumois, sise à Routot (…). J’ai l’intime persuasion que je fais un sacrifice de plus de douze cent francs de revenu annuel en faveur de la commune, cependant je n’en désire pas moins sincèrement, qu’enfin mieux conseillée, la commune les acceptent afin de pouvoir nous entendre franchement sur les moyens de réparer les voies qui conduisent à ce bourg assez important et qui deviendra bientôt inaccessible s’y l’on n’y apporte un prompt remède (…)

31 décembre 1828 : lettre du préfet de l’Eure au sous-préfet de Pont-Audemer prenant parti pour la commune de Routot et dénonçant les « abus qui ont lieu depuis longtemps dans la perception des droits de place » : « il parait au surplus que M. Vicquelin ne s’est jamais conformé à l’arrêté du 11 Brumaire an 13 et qu’il y aurait donné une extension contraire aux intérêts de ceux qui viennent exposer leurs denrées et marchandises en vente sur les terreins affectés aux foires et marchés à Routot (…). Il y a lieu de croire que le tarif dont il s’agit n’a pas reçu l’approbation ministérielle ; s’il en est ainsi, la perception depuis l’an 13 serait très illégale et il conviendrait de rétablir l’ordre promptement en cette partie puisque d’ailleurs M. Vicquelin ne veut ni louer ni vendre à la commune des propriétés servant à la tenue des foires et marchés ou qu’il y met des conditions tellement onéreuses pour la commune qu’elle ne peut les accepter. Dans l’état de choses, il me semble, M. le sous-préfet, qu’il y a beaucoup d’analogie entre la commune de Routot et celle de Cormeilles » Engage le CM à se réunir en une séance extraordinaire pour « examiner le règlement et les tarifs existants sur les droits de places, halles et marchés, ainsi que les plaintes formées contre la perception des agents de M. Viquelin et de prendre une délibération d’après laquelle ce dernier serait tenu de soumettre à l’examen du conseil soit le tarif existant, soit un nouveau tarif qui serait soumis à l’approbation du gouvernement. »

17 juin 1837 : sommation présentée à la commune de Routot par Me Porphire Hyacinthe Grout, de Saint Paër, huissier au tribunal de Pont-Audemer, demeurant à Bourg-Achard, sur le choix à faire entre l’acceptation du bail ou la proposition de vente des halles à la commune de Routot. Rappel du bail d’avril 1825 comprenant les places, halles et hallettes et quatre petites boutiques attenant à la halle boucherie. « Mr Vicquelin et Mr et Mme Levacher se réservant tous les cafés, greniers et loyers de la place et de la mare, n’entendant louer que tout et autant qu’en tenaient alors les sieurs Travers et Saussaye comme seuls objets destinés à la tenue du marché, les bailleurs s’obligeaient à mettre en bon état les étaux, lames, chouquets, ransier et autres menus ustensiles servant à l’étalage sous les halles, hallettes et boutiques, parce que le tout pris par inventaire détaillé leur serait remis en même état à la cessation de la jouissance ; de son côté, la commune prenait à bail tous les lieux et objets ci-dessus pour 6 années, moyennant le prix annuel par elle offert et accepté par le bailleur de 3000F de loyer payable par les douzièmes de mois en mois en espèces d’or et d’argent ; elle se chargeait en outre du paiement de toutes les charges et contribution portant sur les objets affermés même sur les greniers réservés ; celle portant seulement sur les cafés et leurs dépendances restant à la charge du bailleur ; enfin la commune s’obligeait à passer bail à ses frais devant notaire et à en délivrer une grosse exécutoire aux bailleurs. Si la commune persiste aujourd’hui dans les intentions qu’elle avait alors ainsi exprimées, et qu’elle veuille prendre à bail aux conditions ci-dessus rappelées, M. Vicquelin et Mr et Mme Levacher (…) consentiraient à accepter un bail sur ces bases. (…) Si la commune rejette la proposition ci-dessus et qu’elle aime mieux acheter Mr Vicquelin et Mr et Mme Levacher déclarent qu’ils consentent à lui vendre les halles et places de marché en ce compris le café tenu par le sieur Bunet & Chapelier et faisant partie de la halle aux toiles ainsi que les quatre petites boutiques attenant à la halle boucherie mais non le café tenu par les héritiers Détoy, lequel est contre la halle au blé mais n’en fait nullement partie et n’a jamais servi à l’usage du marché, café expressément réservé par mes requérants ainsi qu’un mètre à l’entour du parement antérieur des murailles et maçonnerie pour le tour d’échelle. Mes requérants estiment à la somme de 100 000F le prix qui doit être payé par la commune de Routot pour l’acquisition des dites places de marché, halles et dépendances ci-dessus exprimées… »

15 avril 1837 : transmission du sous-préfet de Pont-Audemer au préfet de l’Eure : fait part du projet d’acquisition par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique présentée par la commune de Routot « fondée sur ce que le conseil reconnaît indispensable de supprimer les bâtiments existants dans le milieu du bourg afin de procurer un endroit plus spacieux pour la tenue des marchés, puis la commune profiterait des matériaux à provenir de ces démolitions pour faire construire sur une partie de la mare à combler un bâtiment pour servir de mairie, de salle d’audience de la justice de paix, dépôt de sûreté, local pour les pompes à incendie, toues les objets d’une utilité incontestable et que pourtant la commune n’a pas… »

19 août 1837 : acte de Jean Félix Morel huissier enregistrant la somme de 13 924F offerte par le CM de Routot à M. Vicquelin et aux époux Levacher pour acquérir les places, halles, hallettes et maisons où se tiennent les foires et marchés de Routot.

16 décembre 1838 : registre composé par Jacques Denis Condor, maire de Routot et M. Denize, membre du conseil municipal au sujet du projet d’acquisition par voie d’expropriation forcée pour utilité communale des halles, bâtiments et terrains servant à la tenue des foires et marchés assis dans le bourg de cette commune, appartenant à M. Vicquelin et Levacher.

24 juillet 1841 : PV d’estimation dressé par Jean-Louis Billard, propriétaire à Rougemontier et Antoine Louis Victor Truffey, propriétaire à La Haye-Aubrée, de la place du marché.

16 août 1841 : transaction passée entre M. Louis François Marc Sébire et MM. Vicquelin et Levacher : « pour terminer le procès existant entre la commune de Routot d’une part et M. Vicquelin et Mme Levacher d’autre part, ceux-ci vendent à la commune de Routot pour cause d’utilité publique tous les droits de propriété, halles, places et maisons leur appartenant dans l’enceinte du bourg de Routot, sans aucune répétition ni réserve de part ni d’autre, moyennant la somme de 40 000F qui sera payé par la commune en 10 années (…) La commune prendra jouissance à compter d’aujourd’hui de ce qui n’est pas loué par les propriétaires et des objets loués par eux à partir de la Saint-Jean-Baptiste prochaine à l’exception de la maison occupée par Le Grix, cafetier dont la jouissance est réservée par les propriétaires jusqu’à Saint-Nicolas 1842.

II- Le vieux Routot

LES HALLES

Trois halles se suivaient en ligne droite dans le milieu du bourg et n'étaient séparées que par d'étroits passages.

1- La Halle boucherie.- C'était une énorme bâtisse de la fin du XVe siècle qui obstruait plus de la moitié du marché et s'étalait en longueur presque dans le milieu de la chaussée. Elle avait deux petits greniers.

2- La Halle aux toiles.- Cette halle masquait et encombrait la place de telle sorte que les bestiaux étaient obligés de s'étendre sur le chemin de Pont-Audemer à Rouen, jusque sur le seuil des maisons, ce qui exposait le public passant à pied, à cheval ou en voiture à des ennuis et même à des dangers, ces bêtes devenant parfois furieuses.

3- La Halle aux grains.- Au bout de cette halle était la maison d'arrêt ou conciergerie et la juridiction ou lieu des audiences de la haute et basse justice de la baronnie. Ces bâtiments gênaient également la circulation des bestiaux, notamment sur le chemin de Bourneville à Rouen. Au-dessus de la halle aux toiles et de la halles aux grains, il y avait 7 greniers.

L'emplacement de la mairie actuelle était occupée par plusieurs maisons.

LA MARE.- Le reste de la place était presque entièrement pris par une grande mare. Elle était nécessaire à cause du nombre considérable d'animaux qui, chaque semaine, venaient s'y abreuver. Mais cette vaste cuve qui recevait, avec les eaux de pluie les excréments des bestiaux, la boue des chemins défoncés, les déchets des denrées diverses, devait, en été, produire des odeurs peu agréables et s'emplissait assez vite de vase dont l'épaisseur devenait parfois inquiétante et même dangereuse.

LE BOURG.- la rue principale actuelle formant alors la franche-bourgeoisie, était presque fermée à l'Est par le cimetière qui entourait l'église. Les routes de Hauville et de Bourg-Achard n'existaient pas telles que nous les voyons aujourd'hui. Seul un chemin étroit faisait le tour de l'église, au Nord et à l'Est, permettait de rejoindre la voie conduisant à Bourg-Achard.

Neuf chemins longeaient ou traversaient la place. L'un des chemins, au Sud, portait le nom très significatif de "chemin aux bœufs". Il y avait aussi une sente dite "sente aux poulains" et une "sente de la cavalerie". L'ensemble du marché et de la franche bourgoisie, appelée "le froc" (terrain commun public) contenait 1 acre, 2 vergées, 36 perches, 32 centièmes, ce qui équivaut à 1 hectares, 18 ares, 57 centiares.

III- PHYSIONOMIE DU MARCHÉ

Dès le commencement de la semaine, les chemins étaient sillonnés par des troupeaux de bœufs et tous les mercredis, il y en avait de huit cents à mille... Ils venaient de la vallée de la Risle, de la région de Beuzeville, de Pont-l'Évêque, de Bernay, du pays d'Auge, de l'Avranchin, du Cotentin, etc... Ces animaux harassés par la marche longue et difficile sur des routes défoncées, boueuses ou raboteuses, étaient couchés sur la place, dans les chemins, le long des maisons, dans les masures et les cours situées autour de la bourgade. Le mercredi matin, les paysans s'en venaient, eux aussi au marché, tirant au bout d'une corde une vache grasse ou un veau (...)

Les herbagers arrivés à cheval des extrémités de la Basse-Normandie descendaient dans les auberges. C'est dire que l'industrie hôtelière était prospère. On distinguait d'abord les hôtels dont la clientèle était formée de gros commerçants et de voyageurs importants, puis les auberges logeant à pied et à cheval, enfin les cabarets divisés en trois catégories : ceux à pot et à pinte, càd ne vendant qu'à boire, ceux à pot et assiette, vendant à boire et à manger et ceux qui donnaient le logement et le couvert et étaient en somme de petites auberges. (...)

Voyons maintenant les acheteurs. Ce sont, au premier rang, les bouchers de Rouen ; mais il y a également ceux d'Elbeuf, de Louviers, de Pont-de-l'Arche, des Andelys, d'Écouis, de Gisors, de Caudebec, de Lillebonne, d'Yvetot, de Bolbec, du Havre, de Dieppe, de Saint-Valéry, etc. Nous remarquons encore les intermédiaires, les nombreux marchands bouchers de la région (...) pour les 20 dernières années avant la Révolution, on en trouve 8 à Routot, 5 à Hauville, 4 à Rougemontiers, 4 à La Haye-Aubrée, 6 à Brestot, 2 à Eturqueraye, à Valletot, Etreville, Cauverville, Bouquetot.. (...).

À travers cette foule, "cette cohue d'humains et de bêtes mélangés", comme dira plus tard Guy de Maupassant, les agents de la baronnie circulaient pour percevoir la coutume et s'il se trouvait quelque contrevenant, le procureur fiscal commençait une information et engageait des poursuites si c'était nécessaire.

Pendant que nous sommes à la halle Boucherie, je veux vous signaler une particularité, "la boucherie de Carême". Un seul boucher avait le droit de vendre pendant ce temps de pénitence. Elle était mise en adjudication. Ainsi, le 2 mars 1791, en pleine Révolution, la boucherie de Carême fut adjugée à Pierre Barbier, boucher à Éturqueraye, moyennant 36 livres.

Passons à la halle aux toiles : on y fait le commerce des grosses toiles de lin fabriquées dans les environs, des molletons de coton, finettes de coton, indiennes diverses, etc. Les femmes qui, toutes s'occupent à filer le coton, viennent vendre leur fil. Elles achètent en retour de la laine et du coton brut pour reprendre le travail chez elles (...). A Routot même et dans les environs des commerçants fournissaient aux ménagères ce coton amené à Rouen des îles d'Amérique (cite Laurent Guéroult, François et Goeffroy Gardin à Routot, Jacques Norbert à Bourg-Achard, Jacques Dorbeaux à Hauville...)

IV- DE LA SUPPRESSION DES DROITS FÉODEAUX A LA CHUTE DU MARCHE AUX BESTIAUX

En 1842, la municipalité délivrée de toute entrave se met allégrement et courageusement à l’œuvre : elle établit un tarif raisonnable ; elle s'oppose le plus qu'elle le peut à la création de nouveaux marchés dans les bourgades voisines ; elle décide le rétrécissement de la mare. Considérant que les halles sont en mauvais état et réclament des réparations très dispendieuses, qu'elles entravent la circulation et encombrent la place, que la halle-boucherie et la halle aux toiles ont perdu leur utilité, elle vote leur démolition. Seule la halle au blé sera conservée, en attendant qu'on puisse en reconstruire une autre plus vaste et plus moderne. Les bouchers seront placés sur deux lignes parallèles en direction de l'église.

Le 3 juin 1844, la halle-boucherie est adjugée au sieur Égret pour 1 000F. En 1848, le conseil demande au Gouvernement de lui accorder des primes et des médailles pour le marché, comme il l'a fait pour Poissy, Routot étant le plus fort marché après Poissy et Sceaux pour le commerce des bestiaux gras destinés à la boucherie. La même année, on s'occupe de l'exhaussement de la place, dont le niveau est inférieur à la nouvelle route. Des réparations sont faites à la halle au blé. Les chemins sont nettoyés et empierrés ; les boues sont mises en adjudication ; des travaux de déblais et de remblais, depuis la mare jusqu'à l'église, sont entrepris pour l'écoulement des eaux et le nivellement des places.

En 1842, le cimetière est déplacé pour permettre la jonction de la nouvelle route de Bourg-Achard avec le bourg. Un projet d’alignement reçoit un commandement d’exécution en 1849. En 1850, la place du marché aux bœufs est entourée d'une clôture. En 1853, la commune approuve le tracé du chemin de fer de Serquigny à Rouen par Thuit-Hébert car il est amené au marché plus de 30 000 boeufs ou vaches par an, de la vallée d'Auge, de Lisieux, de Caen, de la Basse-Normandie.