Le dernier dock flottant est en cours de démolition. Le dernier des quatre docks flottants installés dans la darse de Petit-Couronne disparait sous les chalumeaux d'une entreprise de démolition.

Une page de l'histoire du Port de Rouen ,de la construction et de la réparation navale se tourne. Une histoire qu'il faudra bien écrire un jour:1'histoire des évolutions, des mutations qui se succèdent sans cesse sur ces rives de la Seine depuis l'origine de Rouen. Histoire d'une vie intense des quantités de corporations qui y ont développé leurs savoir-faire, leurs technicités.

Sur ces docks flottants des centaines de chaudronniers, de formeur de tuyauteurs, de mécaniciens, d'électriciens, souvent hautement qualifié ont effectué là des milliers et des milliers d'heures de travail pour réviser et réparer des navires de toutes dimensions afin qu'ils poursuivent leur course sur tous les océans et que Rouen commerce avec tous les points du monde.

Parmi ces corporations, même si elle a disparu plus tôt que les autres, n'oublions pas celle des riveurs et des "teneurs de tas" avec leurs "mousses", ces mômes de 12/13 ans qui portaient au rouge les rivet avant de le jeter au pied du "matelot".(Et gare s'il n'était pas à point ou brûlé: il avait intérêt à se baisser…).

Ces docks flottants étaient au nombre de quatre sur la rive gauche de la Seine à environ dix kilomètres en aval de Rouen où un centre de réparation de navire était aménagé. Les Chantiers de Normandie, ceux du Trait, y avaient des ateliers de même que l'entreprise Lozai qui y a toujours ses ateliers de maintenance.

Les docks étaient disposés cote à cote, parallèlement à la Seine, séparés par des appontement, en béton pouvant recevoir des wagons. Le dernier dock, en cours de démolition, portait le numéro deux et avait été mis en service en 1928 : il pouvait lever 8.000 tonnes.

Le numéro un, identique à l'origine, de la même année, avait été modifié en 1932 pour être porté à 14.000 tonnes. Aux essais en décembre 1932. il en a levé 15.600. Sa longueur hors-tout de 150 mètres fut portée à 180 mètres 90 et celle des tins de 130 à 178 mètres. La largeur hors-tout restait à 33 mètres 50 et la largeur utile à 25 mètres 20 ainsi que le tirant d'eau sur les tins, au maximum d'enfoncement, de 7 mètres. La durée d'immersion qui était de 45 minutes passa à une heure et celle du relevage d'un navire passa de I heure à I heure 15.

Ces engins ont été construits à Hambourg aux chantiers "Dockbaugeslischaft". Les numéros 1,2 et 4 furent fournis au port de Rouen au titre des réparations dues par l'Allemagne après la guerre de 14-18 et le numéro 3 le fut en vertu du traité de Paix.

Ils sont venus renforcer l'équipement du port qui se limitait au "slip incliné" du bassin au pétrole supprimé dans les années 50 (C'était aussi une "sacrée technique" que de haler par des treuils les navires pour les mettre à sec sur la berge de la Seine.)

Des corps-morts en béton armé de 20 à 40 tonnes sont immergés à moins huit mètres pour arrimer les docks par des chaînes longères et traversières en quatre points latéraux et six d'extrémité.

La conception de ces engins est simple et robuste. Ils ont une section en forme de U. Trois cloisons longitudinales et trois transversales les divisent en seize compartiments étanches de même volume: huit au centre et huit latéraux.

Les compartiments centraux sont recouverts par le pont principal sur lequel est la ligne des 117 tins et les douze paires de berceaux de bouchain qui calaient le navire docké.

Les caissons latéraux sont fermés par ion pont de sûreté d'un bout à l'autre du dock pour en porter son poids propre et empêcher de couler même toutes vannes ouvertes.

Au dessus sont d'un coté les machines, de l'autre deux tanks à mazout d'une capacité de 500 mètres cubes pour assécher les réservoirs des machines du navire en réparation. Ce carburant sera refoulé à "bord par une pompe entrainée par un moteur de 50 chevaux. Pour le halage, la mise en place et l'amarrage des navires à dock sont installés quatre cabestans de six tonnes. Deux paires de passerelles mobiles permettent le passage d'un port latéral à l'autre.

Toute la surface de travail du dock était couverte par deux grues de dix tonnes. Elles pesaient chacune 120 tonnes.

L'énergie était amenée par une ligne de 5.500 volts alimentant trois transformateurs installés à bord de chaque dock. Le travail de pompage était assuré par quatre pompes rotatives de 3.200 mètres/cube heure, entrainées chacune par un moteur électrique de 110 CV. Il y avait aussi deux pompes incendie de 100 M3/heure avec moteur de 35 CV. L'air comprimé était fourni par deux compresseurs de 75 CV. Une chaudière vapeur marine de 80 M2 de surface de chauffe assurait le chauffage du dock et du navire docké.

Au dessus de la salle des machines était le poste de commandement d'où "le maitre du dock" assurait toutes les manoeuvres. Y étaient centralisées toutes les commandes et toutes les signalisations :indicateur d'inclinaison et de flexion, indicateur de niveau de chaque compartiment, indicateur de plongée, etc.

Arrêtons là la description technique. Les docks sont condamnés. De gerbes d'étincelles fusent à chaque bec de chalumeau-découpeur. Toutefois l'Ecomusée de Haute-Normandie s'efforce de sauvegarder quelques éléments caractéristiques de ce qui fut un outil important de la réparation navale rouennaise. Ne serait-ce que quelques maillons de ces énormes chaines d*arrimage: ils témoigneraient de la puissance de ces équipements.

Des élèves du C.E.S. de Petit-Couronne sont venus sur place avec leur professeur : ils trouvent là un sujet particulièrement passionnant pour participer au concours organisé par le c .H.S. les Associations des Maires et les Inspections Académiques sur le thème "Patrimoine vivant de Haute-Normandie". Les propositions de sauvegarde qu'ils feront vont contribuer à ce qu'une de nos riches pages de l'Histoire de l'Industrie ne disparaisse pas totalement. Et certainement que ces suggestions recevront l'approbation des élus comme en témoigne la présence sur place de M. Letailleur, Maire de Petit-Couronne.

Ainsi, les pièces préservées-ces maillons de chaine, par exemple s'ajoutant aux témoignages recueillis auprès de ceux qui ont travaillé là seront "une mémoire pour demain". Ils seront un témoignage du travail réalisé sur ces docks,de ces milliers de jours et de nuits de labeur dans l'enfer des marteaux-riveurs avec la conscience du travail bien fait. Ils démontreront que l'Histoire du travailles techniques, c'est aussi notre Patrimoine culturel.