AVENEL Yvon, La deuxième phase de la reconstruction d'Elbeuf, in Paris-Normandie, 30 novembre 1950 - Elbeuf, Archives Intercommunales de l'Agglomération, 1 T - ELB 6
La deuxième phase de la reconstruction d’Elbeuf va commencer avec la mise en œuvre des îlots L, M et S. Elbeuf, comme Rouen, pouvait se plaindre d’être la « lanterne rouge de la reconstruction ». Dans les deux villes, on attendait, depuis dix ans, la pose d’une première pierre. Pour Elbeuf, l’événement s’est produit en octobre 1949, quand on a vu, le long de la rue des Martyrs, couler le béton des fondations des premiers îlots H, I et R. Aujourd’hui, la première phase de la reconstruction est pratiquement terminée. La deuxième phase va commencer au début de 1951, avec la mise en œuvre des îlots L, M et S. Un coup d’œil sur ce qui a été fait : la reconstruction d’Elbeuf posait maints problèmes dont les grandes lignes ont été exposées en détail dans ces colonnes. Rappelons simplement que, comme ce fut le cas pour de nombreuses villes sinistrées, le retard apporté a été notamment causé par d’inévitables conflits d’intérêts. Ceux-ci ont été finalement résolus et le plan de remembrement, qui divisait les zones détruites en de traditionnels îlots, fut définitivement adopté en 1948. Le tracé des rues ne subit que peu de changements. Seul le quartier du Calvaire connut, dans ce domaine, quelques modifications. Le centre commercial d’Elbeuf était caractérisé, avant la guerre, par la rue de la Barrière. C’est le long de cette artère, considérablement élargie et devenue la rue des Martyrs, qu’en un an poussèrent les premiers immeubles de la ville nouvelle. Ces îlots H, I et R, dont les propriétaires sont groupés par la Coopérative « Reconstruire », marquent le soin apporté par les architectes à négliger le pittoresque au profit du confort et de l’hygiène. Dans une rue où la boue ne cède pas encore la place à l’asphalte (conséquence d’importants travaux souterrains), les immeubles montrent leurs façades revêtues de dalles de pierre et leurs toits couverts de tuiles. Un magasin, clair et gai, offre le spectacle de ses vitrines bien garnies. Elbeuf était une ville triste. On peut penser que ses bâtiments neufs, sans être inutilement luxueux, sont suffisamment élégants pour faire disparaître cette réputation. On attend maintenant la suite. Une ville se rebâtit par étapes. La deuxième étape portera l’attention, dans quelques semaines, sur les îlots L, M et S. Là encore, les architectes ont essayé d’utiliser, dans des limites bien définies et en cherchant le meilleur prix de revient, les terrains des propriétaires remembrés. C’est ainsi qu’ils ont été conduits à diminuer la surface des immeubles et le nombre des étages : on ne verra pas plus de deux étages sur les grandes voies et un étage sur les voies secondaires. L’îlot M (MM. Viret et Lair, architectes en chef ; Brassart, Laquerrière, Leroi et Roehrich, architectes d’exécution) sera limité par la rue Jean Jaurès – sensiblement élargie – le cours Carnot et la rue Desmonts. Sa situation, sur l’un des côtés de la place du Calvaire, en face de l’îlot O, dont la construction retardée va se poursuivre, en fera la vedette de la cité nouvelle. Il s’appuiera, d’une part, sur un bâtiment encore existant et d’autre part, sur un immeuble construit grâce à la priorité individuelle, qui, en son temps, avait été accordée. Huit propriétaires seront relogés là : magasins et locaux commerciaux au rez-de-chaussée et appartements dans les deux étages. Un revêtement de briques de parement, d’un effet très coquet, agrèmentera les façades. L’îlot M (M. Brassart, architecte en chef) nous emmène de l’autre côté de la rue Desmonts, à l’encoignure du cours Carnot. Il s’appuiera, lui aussi, sur des constructions épargnées par la guerre et donnera asile à quatre propriétaires qui retrouveront, et leurs locaux commerciaux et leurs logements. Quant à l’îlot S (MM. Bocquillon, architecte en chef et Le Bocq, architecte d’exécution), il est situé derrière l’îlot R et sera limité par les rues Camille Randoing, Patalier et Grandin. Cet îlot aura surtout un caractère industriel et commercial. Bine qu’il ait eu à subir quelques remaniements – certains propriétaires remembrés à cet endroit ont vendu leurs dommages – il sera sans doute le premier des trois à sortir de terre. Mais ce n’est pas tout. Les Rouennais ont fait de la rue Grand-Pont le « nombril » de leur ville. Les Elbeuviens font de même avec la place du Calvaire. La mise en œuvre, au printemps, des îlots K, P et N comblera leurs vœux les plus chers. Les deux premiers (MM. Remondet et Roehrich architectes) formeront à l’entrée et de chaque côté de la rue des Martyrs, un véritable ensemble monumental. Ceci, grâce à une rigide symétrie des façades à pan coupé hautes de trois étages construites sur la place du Calvaire et dotées, au rez-de-chaussée, d’élégantes galeries couvertes. Telle se présente, en décembre 1950, la reconstruction d’Elbeuf, à laquelle la Coopérative « Reconstruire », qui groupe la plupart des propriétaires sinistrés, apporte son concours. A l’aube d’une année nouvelle, la ville semble prête à surgir d’un énorme chantier où les matériaux les plus divers s’enchevêtrent dans la boue, quand il pleut, sous la poussière, quand il fait sec. Certes, le temps n’est pas encore venu qui verra une cité propre et entièrement rebâtie. Mais l’espoir est né sur ces chantiers qui annoncent enfin la naissance d’une ère d’où les baraquements sont exclus.
Conservatrice en chef du Patrimoine