Le Cinéma Grand Mercure d’Elbeuf date de la Reconstruction. Il a été édifié par les architectes Marcel Lods et Raymond Laquerrière sur un îlot unique, l’îlot F, délimité par les rues Jean Gaument, de Roanne, Pierre Brossolette et du président Roosevelt, qui lui avait été spécialement dévolu. Inauguré en 1963, il est venu remplacer l’ancien cinéma-théâtre de la rue de la Barrière (actuelle rue des Martyrs), détruit dans l’incendie de juin 1940.Elbeuf possédait une salle de théâtre permanente depuis le début du 19e siècle. Celle-ci avait été bâtie en 1817, même si la ville avait auparavant connu des spectacles donnés par des troupes ambulantes dans de petits locaux de fortune. A cette date, une société animée par Mathieu Bourdon avait entrepris la construction, au n° 16 de la rue de la Barrière, d’un théâtre authentique, dont l’exploitation allait rester privée durant une vingtaine d’année.
En 1838, cette salle changea de propriétaire : acquise par un certain Prieur-Quesné, elle fut revendue l’année suivante à la municipalité, qui la transforma en un vaste établissement au prix de coûteux aménagements. Elle y fit installer l’éclairage au gaz, qui remplaça l’ancien système des quinquets, très dangereux car susceptible de provoquer des incendies. En 1854, la ville procéda à de nouveaux agrandissements et à un renforcement des protections du théâtre et de ses abords, car il se situait sur une parcelle très densément occupée, à proximité immédiate d’autres immeubles. En 1914, le théâtre, qui n’accueillait jusqu’alors que des spectacles, devint également un cinéma dédié à la projection de films et se dota d’un éclairage électrique moderne. En 1926, la ville, tout en en conservant la propriété des murs, en céda l’exploitation à la société Leroy, qui y opéra d’importantes transformations. La façade du cinéma fut élargie et surmontée d’un majestueux fronton en accolade ; on y installa des balcons cantonnés de frises sculptées, son nombre de places fut porté à 1250 et sa décoration intérieure subit quelques modifications.
En juin 1940, le ciné-théâtre de la rue de la Barrière fut entièrement détruit par l’incendie provoqué par les bombardements allemands. Les photographies prises au lendemain du sinistre montrent que seule sa façade subsista, debout au milieu des décombres, tandis que la salle elle-même fut totalement ravagée par le feu. Dès lors, il fallut songer à la reconstruire. En 1941, l’urbaniste Roger Puget reçut la mission de travailler au Plan d’Aménagement et de Reconstruction d’Elbeuf. Dans son projet, approuvé en août 1943 par le conseil municipal, il consacra une part notable au cinéma-théâtre, qui constituait selon lui l’un des lieux de sociabilité de la cité qu’il importait de préserver.
Mais Puget ne souhaita pas reconstruire ce cinéma-théâtre à son ancien emplacement. Pour l’accueillir, il envisagea le percement d’une nouvelle place, qu’il décrivit ainsi : entre la rue Jean Gaument, la rue du Maréchal Pétain (ancienne rue de la Barrière) et l’artère nouvelle qui remplace la rue du Maurepas, une place a été prévue qui sera la place de la ville, celle où l’on se réunira pour toutes les manifestations de la vie collective, cette place que nous avons voulu indépendante de la place commerçante, afin de ne pas créer de vide préjudiciable à son activité, est bordée d’un seul côté par la voie publique. Elle ne sera pas comme tant d’autres (comme la place Aristide Briand par exemple) un carrefour ou un parc de stationnement, ce sera une place pour les hommes et non pour les machines.
Sur cette place à échelle humaine viendrait se greffer le cinéma-théâtre reconstruit, qui en occuperait l’un des côtés. Les trois autres recevraient une salle des fêtes, une bourse du travail, la bibliothèque et le musée. Puget était en effet partisan d’un regroupement des fonctions de la ville : à terme, l’îlot F hébergerait une sorte de pôle intellectuel. Le 22 décembre 1944, par décision du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, l’architecte parisien Jean-Jacques Garnier fut chargé de dresser les plans du nouveau cinéma-théâtre.
A partir de 1945, Puget fut dessaisi du Projet de Reconstruction et d’Aménagement d’Elbeuf, au profit de l'urbaniste rouennais François Herr, mieux perçu par la population. Ce dernier apporta des modifications à l'îlot F : il reprit l’idée de l’affecter à la reconstruction du cinéma-théâtre, en y adjoignant plus tard un musée, une bibliothèque et une salle de conférences, mais à l’exclusion de toute bourse du travail. Dans un souci encore plus engagé de séparation des fonctions, celle-ci serait transférée sur un autre îlot, en bordure de la rue Henry.
Le plan de Herr ayant été approuvé par le Ministère de la Reconstruction le 30 avril 1947, les études débutèrent, sans que les archives ne permettent d’établir jusqu’à quel stade elles furent poussées.
En octobre 1950, le Conseil Municipal se trouva face à un dilemme car les crédits manquaient pour conduire en même temps toutes les opérations de reconstruction. Il fut décidé que le cinéma-théâtre serait prioritaire, mais qu’en revanche, la bibliothèque et le musée attendraient, pour être édifiés, que le contexte budgétaire soit plus favorable. Jusqu’alors, les activités de l’architecte Garnier s’étaient manifestement limitées à un échange de vues avec François Herr, sans plus d’aboutissement. Le 12 février 1951, Garnier informa le Ministère de la Reconstruction qu’il renonçait à sa mission, en raison d’une santé précaire et parce que d’autres affaires l’appelaient à Paris.
Le 20 mai 1951, une délibération municipale désigna Marcel Lods comme le nouvel architecte de l’îlot F et du cinéma. Il serait épaulé dans son travail par l’architecte elbeuvien Raymond Laquerrière, qui l’assisterait pour tous les détails pratiques relevant de l’exécution. Malgré cette décision, la reconstruction du cinéma-théâtre tarda à être engagée. En 1954, il fut même question de l’abandonner et d’utiliser les dommages de guerre perçus conjointement par la municipalité et la société Leroy pour moderniser et agrandir une autre salle, l’Eden, exploitée, elle, par la société Omnia et située sur le Champ de Foire. Dans cette hypothèse, l’îlot F aurait finalement servi à rebâtir des habitations.
En 1955, le montant des dommages de guerre perçus pour la destruction de l’ancien ciné-théâtre de la rue de la Barrière fut enfin estimé. Il s’élevait à 95 millions de francs. Or, d’après les premiers calculs des architectes, il n’en couterait que 75 millions pour reconstruire le cinéma sur l’îlot F. Le solde de la somme (une vingtaine de millions de différence) pourrait donc être utilisé à l’acquisition de l’autre salle, l’Eden, et à son aménagement en salle des fêtes municipale. Ainsi, le nouveau cinéma n’aurait-il aucune concurrence, une fois ouvert.
Le 13 février 1957, un arrêté du conseil municipal d’Elbeuf fixa enfin les modalités de la reconstruction du cinéma-théâtre d’Elbeuf. Le nouvel établissement comprendrait 1200 places, moyennant un forfait convenu de 70 000 francs la place. La dépense totale s’élèverait donc à 77 millions. Cette somme serait couverte à hauteur de 57 millions par les dommages de guerre perçus par la société Leroy (au titre de locataire de la salle et de propriétaire de ses biens mobiliers) et à hauteur de 19 millions par ceux perçus par le ville (au titre de propriétaire des biens immobiliers). Il fut décidé que l’entrée du cinéma se ferait par la rue Pierre Brossolette, grâce à un petit square aménagé devant sa façade.
Les péripéties n’en restèrent pourtant pas à ce stade. En avril 1957, la mairie d’Elbeuf chercha à évincer Marcel Lods du projet, sur l’insistance de Clément Leroy, directeur de la société du même nom, qui exploitait le ciné-théâtre avant la guerre (et qui gérait d’autres établissements du même type, comme le cinéma Normandy de Rouen). Clément Leroy conseilla à la municipalité de faire plutôt confiance à Raymond Laquerrière, car il craignait que Lods ne voit trop grand et ne propose que des solutions onéreuses.
Le 20 septembre 1957, la ville d’Elbeuf donna enfin son accord sur la maquette présentée par Lods et Laquerrière. Le devis du cinéma fut établi en 1958. Ses plans furent dressés en septembre 1959 par les deux architectes, avec l’aide de l’ingénieur Marcel Levant, spécialiste des éclairages et des cabines de projection. Le cinéma fut inauguré en 1963.
Conservatrice en chef du Patrimoine