Description de l’escalier du château de Bonneval

Disposition et plan.- Un couloir placé à l’arrière du mur de la façade principale dessert au rez-de-chaussée les différentes pièces et au milieu de celui-ci, face à la porte d’entrée, se trouve la cage de l’escalier qui, perpendiculairement, coupe en deux le corps de logis (la même disposition se retrouve à chaque étage).

Le départ se trouve à gauche de la cage d’escalier, dont une première volée de douze marches conduit à un premier palier de repos parallèle et adossé au mur de la façade arrière. Ce palier s’étend sur toute la largeur de la cage, il est éclairé par une fenêtre percée dans l’ase de la deuxième volée, elle-même composée de douze marches, elle arrive sur le couloir du premier étage. Le même agencement se retrouve au deuxième étage, mais avec des volées de onze marches.

La disposition, les proportions, la puissance des bois et la simplicité du plan donnent une impression de force et d’équilibre à cet ensemble monumental. Très certainement, nous avons ici la transposition en bois des escaliers de maçonnerie des grands châteaux de Normandie construits à la Renaissance ; avant le XVIIe siècle, c’était l’escalier tournant (la vis) qui était de règle en notre Région, surtout pour ceux de bois.

Charpenterie.- Comme nous venons de le voir, le plan de cet escalier est fort simple, tous les limons et rampes se trouvent placés au-dessus les uns des autres, ainsi les volées de départ et d’arrivée s’assemblent-elles sur la même potille à mi-étage ; cette disposition est dite rampe à rampe, le tracé de charpenterie en est facile : pas de balancement ni de développement. La potille de départ faite d’un tronc d’arbre équarri a une section de 0.32. Les limons ont une section de 0.24 x 0.185 et les rampes 0.19 x 0.185.

Les limons et rampes ont leurs angles décorés d’une large mouluration.

Les potilles intermédiaires et d’arrivées ont une section de 0.20 en moyenne, elles sont élégies et sculptées à tous les endroits où cela est possible entre les limons et les rampes ; elles sont décorées à leur extrémités soit de vases profilés sur les quatre faces, doit en culs de lampe également profilés de la même manière, mais sculptées très harmonieusement et accompagnées de petits liens (jambes de force) assemblés à tenons et mortaises dans la partie basse des potilles et dans les traverses des bras des chevêtres (ensemble de traverses et charpentes disposées horizontalement et supportant les paliers). Les autres extrémités de ces traverses sont également supportées, outre leur repot [sic] dans la maçonnerie de la cage, par d’autres liens sculptés.

La disposition des pièces des chevêtres est très rationnelle et grâce aussi à sa décoration sculpturale produit le plus heureux effet.

De puissants balustres assemblés à tenons et mortaises sont placés verticalement entre les limons et les rampes, il y en a douze par volée ; leur section moyenne est de 0 m 140 de large sur une épaisseur de 0.115. Ils sont découpés et profilés sur les quatre faces suivant le rampant des balustrades.

Les marches sont actuellement recouvertes de planches de chêne, mais au-dessous, elles ont gardé leur structure primitive, c’est-à-dire, sur le devant une pièce de bois est placée à champ formant à la fois le nez de marche et contremarche. Les entre-deux étaient garnis de pavage de terre cuite ainsi qu’on peut le voir dans la deuxième volée du dernier étage où nous pouvons remarquer un carrelage fait de carreaux carrés de terre cuite vernissée de 0.094 de côté, les uns blancs, les autres verts, formant un damier et placés sur l’angle. Les carreaux de bordure sont obligatoirement triangulaires, leur base est bien entendu égale à la diagonale des carreaux entiers et leurs deux autres côtés ont 94 mm. L’exécution de cet ouvrage est intelligente et rationnelle ; elle est cependant un peu frustre dans ses détails, nous n’avons pas là un travail de menuiserie de grande ville, mais à n’en pas douter l’ouvrage d’un artisan charpentier local.

Le bois de chêne employé est celui de bois champêtre, "chêne des haies" suivant l'expression encore employée de nos jours, bois très dur, fortement chargé en tannin, à veines larges. On ne peut confondre ces bois avec ceux des forêts des environs de Rouen, bois de hautes futaies au grain fin, aux veines peu écartées, bois plus teinté et "travaillant" moins.

Il est donc probable que l’œuvre a été exécutée sur place par des artisans indigènes [sic] ayant employé sans doute des arbres provenant du domaine de Bonneval.

Sculpture décorative.- C'est surtout par ce côté que l'escalier de Bonneval est remarquable et s'apparente avec certitude, non seulement à l'école rouennaise, mais incite à supposer qu'il fut exécuté certainement par un "ymagier" de Rouen car nous y retrouvons le même esprit décoratif et la même "main" que sur les pièces décrites par les auteurs rouennais que nous pouvons admirer au musée des Antiquités de Rouen". Comme en cette dernière ville, la potille de départ de Bonneval est sculptée sur trois faces ; elle est surmontée d'un important cartouche portant en son centre les armoiries du maître de céans : Harden sieur de Bonneval "d'azur au rencontre de daim d'or, accompagné de deux croissant d'argent en chef et d'un cor de chasse en pointe, le cor lié d'argent et passé dans le col du daim". Les reliefs de l’écu furent buchés, sans doute à la Révolution par Marie-Madeleine Dugard, qui habitait alors le château, cela probablement sur les indications de son frère Robert.

Le cartouche formant support est maintenu par un griffon à tête de chien [sic : griffon ou chien], assis, les deux pattes de devant posées sur la partie supérieure : la facture de cet ensemble est elle aussi nettement rouennaise.

Dans les culs de lampe et la décoration des « liens », « l’ymagier » a fait preuve d’une grande imagination, donnant libre cours et apportant même une certaine licence, particulièrement dans les trois liens qui se remarquent au-dessus de l’entrée, qui sont décorés de griffons à têtes humains féminin, androgyne et masculin ; les traits en sont vigoureux et certains détails peu décents ; les personnages des petits liens qui entourent les culs-de-lampe central sont fort élégants et gracieux, la partie nasse de ces liens est décorée d’une revers de feuille d’où sortent des bustes féminins formant cariatide et semblant soutenir les traverses du chevêtre. Le cul de lampe, lui-même, décoré d’une double rangée de godrons, est d’une qualité remarquable et tout dans cette décoration indique la main d’un artiste véritable, que ne pouvait être un artisan local. Sous les extrémités des autres traverses des chevêtres existent aussi des liens décorés également de personnages. »