La filature du Déluge est édifiée en 1844 par Antoine Belot (investisseur rouennais déjà propriétaire du moulin de l’Église situé à l'amont) à l’emplacement du moulin à blé construit en 1821 par MM. Marmion et Leclerc au lieu-dit du Déluge. La création de ce moulin à blé et le percement d’un canal dérivé de l’Andelle de 10 m de largeur pour l’alimenter sont autorisés par l’ordonnance royale du 25 avril 1821. En 1839, un arrêté préfectoral modificatif fixe le nouveau repère du moulin à blé de MM. Marmion et Leclerc à 1,22 m au-dessous de la retraite d’aval du moulin amont dit de la Nation appartenant à M. Templeu. Ces transformations sont homologuées par l’ordonnance royale du 19 septembre 1840. Peu après, M. Belot, représentant de MM. Marmion et Leclerc en qualité de locataire exploitant du moulin à blé du Déluge est autorisé par l’ordonnance royale du 14 septembre 1844 à remplacer le dit moulin par un tissage ou une filature de coton. Il lui est également permis de doubler la largeur du bief d’alimentation et de relever de 52 cm le repère fixé par l’ordonnance royale de 1840. C’est finalement une filature que fait édifier M. Belot.
L’usine est un bâtiment massif à étages, comptant 3 niveaux, dont le plan masse, établi en 1845, montre qu’elle est équipée de deux roues hydrauliques par-dessous mesurant chacune 4 m de largeur. Ces deux roues jumelles sont installées côte à côte sur le bras principal de l’Andelle servant de canal d’amenée et sont adossées à l’élévation est de l’usine. Au début des années 1850 pour développer l’activité de son établissement, M. Belot décide d’équiper sa filature d’un troisième moteur hydraulique. Cette nouvelle roue également entrainée par-dessous est adossée au pignon nord de la filature. Elle est alimentée par le canal de dérivation du moulin de la Nation situé juste en amont, également propriété de M. Belot. Ce dernier est en effet autorisé par le décret présidentiel du 1er mai 1851 à transférer toute la hauteur de chute d’1 m du moulin de la Nation, représentant une puissance brute de 29 kW, sur la nouvelle roue de l’usine du Déluge. Ce réaménagement du système hydraulique entraine l’arrêt du moulin à blé de la Nation.
La crise de l’industrie cotonnière des années 1860, due à la guerre de sécession américaine et au traité de libre-échange avec l’Angleterre, entraine la mise au chômage temporaire de la filature de M. Belot qui demande au syndicat des usiniers de la vallée de l’Andelle à être dispensé de taxe syndicale durant cette période. La reprise de l’activité cotonnière dans les années 1870 n’est pas sans impact sur l’usine du Déluge. Pour développer sa capacité de production, une machine à vapeur y est installée en 1871 en complément des moteurs hydrauliques existants. C’est à la même époque que l’exploitation de la filature est confiée à M. Boulanger.
En 1885, la filature du Déluge est reconvertie en tissage mécanique et une machine à vapeur provenant des ateliers Renaux (Rouen) est installée dans l’usine pour assurer l’encollage des fils de chaine préalablement au tissage. Une chaudière à vapeur provenant des ateliers Guezet (Rouen) est installée dans le même temps pour assurer le chauffage des ateliers. L’usine du Déluge est alors exploitée par Mme Vve Boulanger mais appartient à Henri Pinel, un industriel rouennais. Malgré le recours à l’énergie thermique, l’utilisation de la force de l'Andelle est développée : le canal de dérivation qui alimente la roue installée sur le pignon nord de l’usine est prolongé de sorte que sa prise d’eau s’effectue juste en amont du moulin de l’Église. En 1895, la mise en place d’une nouvelle encolleuse munie de deux cylindres nécessite l’installation d’une nouvelle chaudière horizontale à deux bouilleurs provenant des ateliers Guezet. Elle sera remplacée en 1905 par une chaudière du même type construite par les ateliers Renaux fils (Rouen). L’année suivant, c’est une nouvelle machine à vapeur provenant des établissements Renaux et Ebel (Rouen) qui est installée dans l’usine.
En 1909, Georges Boulanger prend la direction de l’entreprise et fait construire à côté de l’usine à étages, un atelier en rez-de-chaussée couvert en sheds où sont effectuées les opérations d’apprêt et de blanchiment. C’est là aussi que s’effectue l’inspection, le métrage, le pliage et le conditionnement des pièces. Le bâtiment à étages est alors réservé aux différentes opérations du tissage : l’atelier de tissage proprement-dit occupe le rez-de-chaussée, les ateliers de bobinage, d’ourdissage et d’encollage les deux niveaux supérieurs. Des ateliers de réparation, menuiserie, forge, ajustage, scierie assurent l’entretien de tout le matériel. Par ailleurs, la société dispose d’une maison de vente à Rouen, boulevard des Belges et un bureau à Paris, 124 rue Réaumur. Les établissements Boulanger sont spécialisés dans la fabrication de tissus à la mode dits nouveautés dont la haute qualité leur vaudra de nombreuses récompenses aux expositions internationales de l’époque. La majeure partie de cette production est expédiée par chemin de fer, via la gare de Perriers-les-Hogues, vers les différents centres de négoces français et étrangers.
En 1922, les trois roues hydrauliques de l’usine sont remplacées par deux puissantes turbines de 74 CV chacune, provenant des ateliers Teisset-Rose-Brault à Chartres (28). Leur installation, à l’emplacement des roues jumelles va nécessiter l’élargissement du canal d’amenée et la construction d’un mur barrage prolongeant ce canal jusqu’à la retenue de la filature formant chambre de réserve. Outre l’énergie hydraulique, les énergies thermique et électrique sont aussi utilisées, représentant une force totale de 300 CV. Dans les années 1920 au plus fort de l’activité, l’usine Boulanger compte 260 métiers à tisser et emploie 300 ouvriers, logés pour certains dans la petite cité édifiée à proximité de l’établissement (aujourd'hui disparue).
Les établissements Boulanger cessent leur activité au début des années 1960. En 1963, l’usine est reprise par la Dylbo Steel Wool C° qui y fabrique de laine d’acier en partant de fil déjà tréfilé et traité dans une autre usine. Durant les années 1980, le groupe Copirel – Epéda, spécialisée dans la fabrication de matelas rachète l’usine du Déluge pour l’utiliser comme espace de stockage. Depuis son départ en 2016, l’usine est désaffectée.
Chargée de recherches à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Haute-Normandie, puis de Normandie, depuis 1992. Spécialité : patrimoine industriel.