Dossier d’œuvre architecture IA76006337 | Réalisé par
Real Emmanuelle (Contributeur)
Real Emmanuelle

Chargée de recherches à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Haute-Normandie, puis de Normandie, depuis 1992. Spécialité : patrimoine industriel.

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  • patrimoine industriel, patrimoine industriel de la vallée de la Basse-Seine
raffinerie de pétrole Luciline
Œuvre étudiée
Auteur (reproduction)
Copyright
  • (c) Région Normandie - Inventaire général
  • (c) Collection particulière

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Vallée de la Basse-Seine
  • Hydrographies la Seine
  • Commune Rouen
  • Adresse 69 avenue du Mont Riboudet
  • Dénominations
    raffinerie de pétrole, distillerie
  • Précision dénomination
    distillerie d'huiles de pétrole, usine de pétrole lampant, usine de graisse industrielle
  • Appellations
    Luciline

La Luciline est la première raffinerie de pétrole implantée dans la vallée de la Basse-Seine, ou plus exactement la première distillerie dédiée à la rectification des huiles de pétrole. Elle est fondée en 1863 par la société parisienne Abraham Cohen et Cie, associée à l’industriel rouennais Alfred Guérard inventeur de la marque Luciline, suite à la demande officielle déposée le 10 juin 1863 à l’administration pour procéder à son installation. La réponse ne se fait pas attendre : le 7 juillet 1863 un avis favorable est donné par le maire de Rouen, Charles VERDREL, qui voit dans cette industrie prometteuse une solution à la crise cotonnière qui frappe durement l’économie de la région mais aussi un nouveau débouché en termes d’importation pour soutenir le trafic maritime du port de Rouen. La position du maire est confortée par le rapport positif de l’ingénieur des Mines spécialisé en minéralogie qui donne feu vert au projet le 10 septembre 1863.

L’usine est construite durant automne 1863 dans la partie ouest de la ville sur la rive droite du fleuve, entre le Mont-Riboudet et la Seine, sur un secteur mêlant habitat et activités portuaires et industrielles. L’espace est occupé notamment par des chantiers de bois dédiés à la construction navale. L’installation de la raffinerie, avec les pollutions et les risques d’incendie qu’elle comporte, soulève immédiatement l’inquiétude des riverains. Les oppositions qui figurent dans le registre d'enquête ouvert à l’occasion portent sur le danger des rejets pétroliers dans l’eau du petit ruisseau, affluent de la Seine, qui irrigue le quartier et dans lequel les habitants pratiquent la pèche et lavent leur linge. Pour rassurer la population, la société Cohen et Cie se tourne vers Thomas Anderson, chimiste écossais de renom, inventeur de la pyridine et professeur à l'université de Glasgow qui rédige le 25 juillet 1863 un certificat attestant de l'innocuité de la distillation des huiles de pétrole. Néanmoins, pour éviter les vapeurs néfastes et les risques d’incendie, le conseil départemental d'hygiène publique et de salubrité impose à la société les contraintes suivantes : élever la cheminée de l’usine à 20 m de hauteur, conserver dans des citernes sous un hangar les produits fabriqués, réduire au maximum leur temps de stockage au sein du site, n’introduire l’huile de pétrole brut dans les appareils de distillation qu’après le refroidissement préalable de la chaudière pendant 24 h, disposer au sein de l’usine d’une masse de terre meuble et humide pour éteindre l’éventuel incendie d’une cuve ou d’une chaudière…

La raffinerie est mise en service avant la fin de l’année 1863 et baptisée Luciline en référence au mot latin lux – lucis qui désigne la lumière, non sans lien avec le pétrole lampant (pétrole pour lampe à huile) destiné à l’éclairage domestique qui y est fabriqué. Ce produit constitue en effet avec les graisses industrielles l’essentiel de sa production, tous étant vendus sous la marque Luciline. Pour en assurer la fabrication, l’usine dispose des équipements suivants : trois appareils de distillation alimentés par trois chaudières de 13 000 litres, une machine à vapeur de 12 CV alimentée par une chaudière de même force pour la production d’énergie, une cheminée en brique de 20 m de hauteur pour la dispersion des fumées produites par les différents fours et un appontement sur Seine pour la réception des navires transportant les fûts de pétrole brut importé de Pennsylvanie.

Dans l’usine, la rectification du pétrole s’opère de la façon suivante : le brut est distillé à l’aide de chaudières afin de recueillir par évaporation deux liquides : du naphte et de l’huile de pétrole. Cette dernière est distillée une seconde fois pour en extraire les éléments les plus volatiles. Une fois condensés dans des alambics, ces distillats sont traités à l’acide sulfurique et à la soude caustique (fabriqués en abondance à Rouen pour les besoins de l’industrie textile) pour être purifiés. Le produit obtenu est filtré à l’aide de noir animal (charbon d’os) et l’huile de couleur jaunâtre ainsi récupérée n’a plus qu’à être conditionnée et commercialisée sous la marque Luciline.

En 1876, Alexandre Deutsch de la Meurthe, associé à ses deux fils Henry (1846-1919) et Emile (1847-1924) rachète la Luciline, Alfred Guérard conservant néanmoins la fonction d’administrateur-général délégué de la société. Alexandre Deutsch de la Meurthe, d’abord spécialisé dans la distillation des huiles végétales pour l’éclairage et la lubrification, est le premier industriel français à entrevoir les énormes potentiels du pétrole et monte en 1862 dans son usine de Pantin (fondée en 1851) la première unité de raffinage d’huile de pétrole de France.

Malgré les précautions de sécurité imposées par le conseil départemental d'hygiène publique et de salubrité, la Luciline connait plusieurs accidents graves : explosion de chaudière (1866), incendie des entrepôts (1878) … Pour éviter les risques d’incendies et leur propagation dans Rouen, de nouvelles mesures sont prises. Dès le début des années 1870, l’entreposage du pétrole brut est effectué à Dieppedalle, à 5 km en aval de l’usine, dans des caves creusées à même la falaise. En 1877, 3 500 fûts de 140 litres importés par la société Deutsch et fils sont ainsi stockés temporairement, avant d’être acheminés par chalands jusqu’à l’usine. Puis en 1889-90, la raffinerie elle-même est transférée sur la rive gauche du fleuve, en bordure du bassin aux pétroles qui vient d’être créé sur le port de Rouen pour assurer en toute sécurité les opérations de déchargement des produits pétroliers importés par bateaux.

En 1922, la raffinerie Luciline entre dans son giron la société anonyme des Pétroles Jupiter après absorption de la société Deutsch de la Meurthe. Il en est de même de la raffinerie de la société pétrolière A. André Fils établie à Grand-Quevilly. L’activité et les installations de distillation de la Luciline sont maintenus jusqu’en 1928 date à laquelle la société Jupiter lance la construction de sa grande raffinerie de pétrole de Grand-Couronne.

La raffinerie de pétrole Luciline est détruite.

  • État de conservation
    détruit

Documents d'archives

  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Demande d'autorisation par la société A. Cohen et Cie, une distillerie pour la rectification des huiles de pétroles à Rouen, 10 juin 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Plan de la fabrique de Luciline de MM. Cohen et Cie, située au bord de la Seine, avenue du Mont-Riboudet à Rouen? 10 juin 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Plan général des propriétés entourant l'usine projetée pa M. Cohen pour la fabrication de la Luciline à Rouen, avenue du Mont-Riboudet, 10 juin 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Registre d'enquête ouvert pour l'installation de la distillerie Cohen, 26 juin - 4 juillet 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Pétition de 23 propriétaires et voisins favorables au développement économique qu'apportera la nouvelle distillerie, 1er juillet 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Avis du maire de Rouen favorable à l'installation de la Luciline, d'autant que le textile, première activité de la ville, est alors en crise, 7 juillet 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Certificat établi par Thomas Anderson, professeur de chimie à l'université de Glasgow, sur l'absence de danger généré par la distillation de l'huile de pétrole, 25 juillet 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Rapport du conseil départemental d'hygiène publique et de salubrité sur l'implantation de l'usine Cohen et Cie, 1er aout 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 576. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Rapport favorable de l'ingénieur des Mines du sous-arrondissement minéralogique de Rouen sur l'installation de la distillerie Cohen et Cie, 10 septembre 1863.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 746. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Rapport de l'ingénieur des Mines de l'arrondissement de Rouen sur l'explosion d'une chaudière à l'usine de la société Cohen et Cie, 17 avril 1866.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 746. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Rouen.

    Déplacement de l'usine. Rapport de l'ingénieur ordinaire du service des Ponts et Chaussées sur l'installation provisoire de MM. Deutsch au bassin au pétrole du port de Rouen, 12 octobre 1889.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 393. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Canteleu.

    Demande d'autorisation de MM. Deutsch et fils d'entreposer des huiles et essences de pétrole dans une cave à Dieppedalle, 16 aout 1877.
  • AD Seine-Maritime. Série M. Sous-série 5M : 5 M 393. Bâtiments insalubres, dangereux et incommodes de Canteleu.

    Rapport favorable de l'ingénieur ordinaire des Mines au sujet d'un entrepôt de pétrole dans une cave à Dieppedalle par MM. Deutsch et fils, 24 novembre 1877.

Bibliographie

  • AD Seine-Maritime. La ville au risque de ses usines 1800-1940. Des établissements dangereux, insalubres et incommodes en Seine-Inférieure. Catalogue de l’exposition, Rouen, Conseil Général de Seine-Maritime, 2003, 86 p.

    p. 49-53
  • LE DEZ, Morgan. Le commerce et l’industrie des pétroles en Basse-Seine (1860-1939). Mémoire de DEA sous la direction d’Alain Leménorel, université du Havre. Juin 2002, 190 p.

  • LE DEZ, Morgan. Le commerce et l’industrie des pétroles dans la basse vallée de la Seine : 1860-1940 : la naissance d’un complexe énergétique, entre interventions étatiques et initiatives locales. Thèse de doctorat, sous la direction d'Alain Leménorel, université du Havre, 2009, 2 vol. 855 f.

Date(s) d'enquête : 2005; Date(s) de rédaction : 2006
(c) Région Normandie - Inventaire général
Real Emmanuelle
Real Emmanuelle

Chargée de recherches à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Haute-Normandie, puis de Normandie, depuis 1992. Spécialité : patrimoine industriel.

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