Genèse

La présente étude a été initiée par Claire Etienne, conservateur général du patrimoine, vers 2012 en prévision du centenaire de la guerre de 1914-1918. L'ex Haute-Normandie a en effet beaucoup travaillé sur les éléments commémoratifs des trois dernières guerres qui ont marqué le territoire national. Outre les monuments aux morts de la guerre de 1914-1918, elle a en effet étudié les vitraux liés à ce conflit (voir l'ouvrage publié conjointement avec l'ex Basse-Normandie, Vitraux de Normandie, une histoire de la Grande Guerre, éditions Lieux-Dits, 2018) et les monuments et objets liés au conflit de 1870-1871, cette fois sur l'ensemble du territoire normand et de ces cinq départements (étude en cours, 2023-2025). Les monuments aux morts, marqueurs importants du paysage des villages, ont été pris en compte dès les premiers inventaires topographiques menés par le service de l'Inventaire. Ils bénéficiaient d'une grille de repérage cantonale qui permettait de relever les dates et les auteurs, ainsi que la nature du monument.

Corpus

Les monuments étudiés dans notre corpus sont essentiellement des projets statuaires communaux ayant fait l'objet d'une commande auprès d'un sculpteur ou d'une société marbrière. Il s'agit, dans la majorité des cas d'œuvres uniques, ou réputées l'être, parfois produites en petite série (cas des bronzes). Ont été exclus les obélisques, constituant l'immense majorité des monuments, les monuments paroissiaux (conservés dans les églises) et les œuvres statuaires produites en série (fonte de fer, pierre silico-calcaire, etc.). Toutefois, à titre d'exemple, au moins un monument appartenant à chacune de ces catégories a été étudié. Au final, le corpus, qui ne prétend pas à l'exhaustivité, comprend une centaine d'œuvres pour les deux départements. Les projets les plus modestes (4 000 francs) côtoient ainsi les plus prestigieux concours, dont Le Havre, avec une dotation d'un million.

Sources

Les sources sont constituées des fonds préfectoraux conservés aux archives départementales de la Seine-Maritime, des archives municipales pour les grandes et moyennes villes et les registres de délibération des conseils municipaux dans certains cas. Sur internet, le site de l'université de Lille constitue un précieux moyen de repérage de la plupart des œuvres. Le site d'Alain Choubard et son livre (voir Bibliographie) sont également un bon moyen d'approche de certaines œuvres emblématiques.

Des sculpteurs et des œuvres

Les conditions de la commande (textes légaux, emplacements, financement et validation des projets, etc.) ont fait l'objet de nombreuses publications ces dernières années, il est donc inutile d'y revenir ici. Notons simplement que nombre de sculpteurs étaient normands ou avaient des attaches normandes. Les raisons motivant les choix des comités d'érection, le réseau de la commande sont souvent difficiles à étudier, mais la proximité de Paris où nombre d'artistes locaux avaient un atelier est néanmoins déterminante. Beaucoup de sculpteurs entretenaient des liens avec des édiles normands ou des personnalités locales, bien souvent à l'origine d'une sollicitation directe. Les "enfants du pays" montés "à la capitale" furent ainsi plus souvent choisis que d'autres. Certaines commandes ont été réalisées par des sculpteurs de renom pour des sommes parfois modiques, révélant ainsi un lien d'amitié ou un attachement personnel pour tel ou tel village. Les marbriers locaux au modeste talent de sculpteur ornemaniste ont parfois connu un certain succès dans des secteurs géographiques limités, tel Pierre Tanquerel, originaire d'Yvetot, qui plaça son "Poilu au drapeau" dans plusieurs communes du Pays de Caux. Le parcours atypique de Maurice Ringot mérite d'être souligné : réfugié du Nord, installé au Trait (Seine-Maritime), il connut un beau succès le long d'une des boucles de la Seine avant de regagner sa Région d'origine.

Parmi les noms d'envergure nationale ayant obtenu des commandes en Normandie orientale, Paul Landowski (Le Neubourg, Grand-Couronne) et Maxime Real del Sarte (Rouen, Le Tréport, Saint-Martin-aux-Buneaux). Les frères Guilloux (Rouen-Paris) affrontèrent à de multiples reprises les Delandre, Dufour et autres L'Hoëst, concurrents habituels car normands d'origine et désireux d'obtenir quelques succès sur leurs terres. Malheureux un jour, ils prenaient peu après leur revanche en présentant à une autre municipalité un projet similaire ou légèrement modifié. Les enjeux financiers étaient importants dans les grandes villes et les pressions, frictions voire procès n'ont pas manqué (Le Houlme, Seine-Maritime, différent Real del Sarte - Dufour).

Protections

Suite à une demande des Monuments Historiques, une sélection d'une vingtaine de monuments fut effectuée dans l'ensemble des œuvres étudiées. Le 17 juillet 2022, 17 monuments de 1914-1918 furent inscrits, l'un d'eux, celui du Havre, étant proposé au classement. Pour l'Eure : Bernay, Evreux, Serquigny ; pour la Seine-Maritime : Bolbec, Cuy-Saint-Fiacre, Darnétal, Dieppe, Elbeuf, Fécamp, Grand-Couronne, Le Havre, Le Houlme, Le Petit-Quevilly (cimetière Saint-Sever, le véritable monument aux morts de Rouen), Le Trait, Lyons-la-Forêt, Ouville-la-Rivière, Pavilly, Rouen (monument aux Forains), Rouen (monument de la Victoire), Saint-Etienne-du-Rouvray, Yvetot. Deux autres monuments de l'Eure furent également inscritsle même jour : Le Mobile de Saint-Ouen-de-Thouberville et le monument de Louviers, tous deux respectivement en lien avec la guerre de 1870-1871 et les guerres coloniales.

Liste des monuments inscrits MH le 17 juillet 2022 :

 Relecture des notices

Jean-Yves Coulon, architecte, historien spécialiste des monuments et vitraux commémoratifs ; Claire Etienne-Steiner, conservateur général du Patrimoine.