Dossier d’aire d’étude IA14005670 | Réalisé par
Lecherbonnier Yannick
Lecherbonnier Yannick

Chercheur à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Basse-Normandie de 1982 à 2001. Spécialité : patrimoine industriel. Chef du service Régional de l'Inventaire de Basse-Normandie de 2001 à 2016, puis de Normandie jusqu'en 2018.

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  • patrimoine industriel, patrimoine industriel de l'arrondissement de Lisieux
présentation du patrimoine industriel de l'arrondissement de Lisieux
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  • Aires d'études
    Calvados

Compris entre la vallée de la Dives à l’ouest et le département de l’Eure à l’est, bordé au nord par le rivage de la Manche, au sud par le département de l’Orne, l’arrondissement de Lisieux est sillonné par un dense réseau hydraulique. Ses cours d’eau sont précocement mis à profit pour animer les roues de moulins à tan (autour de Saint-Pierre-sur-Dives), à foulon (le long de l'Orbiquet), à papier (autour de Bonneville-la-Louvet), plus souvent à grains.Livarot. Atelier de fabrication de la filature, devenu pièce de séchage.Livarot. Atelier de fabrication de la filature, devenu pièce de séchage.

Textile et céramique

L’emploi de moteurs hydrauliques performants a permis de mettre en mouvement les multiples machines des filatures, qui s’implantent densément à partir de la seconde décennie du XIXe siècle. Après 1850, la généralisation de l’énergie vapeur a facilité la création de nombreuses usines textiles en milieu urbain, notamment à Lisieux, Livarot, Saint-Pierre-sur-Dives et Pont-l’Evêque.

Si les ressources hydrauliques se montrent abondantes, le sous-sol n’offre guère de variété. De longue date, l’exploitation de l’argile a cependant donné lieu à la production de céramique utilitaire, architecturale et décorative.

De nouvelles activités industrielles à la fin du 19e siècleLe Breuil-en-Auge. Actuellement cidrerie distillerie. Bâtiment d'eau du moulin et salle abritant les machines à distiller.Le Breuil-en-Auge. Actuellement cidrerie distillerie. Bâtiment d'eau du moulin et salle abritant les machines à distiller.

L’élevage laitier et la culture du pommier sont à l’origine d’une importante industrie agro-alimentaire : laiteries et fromageries à partir des années 1880, cidreries et distilleries vers 1885. La présence de ports et l’ouverture sur la mer favorisent, à cette même époque, l’installation de scieries (Honfleur),Honfleur. Usine de produits chimiques Ceca. Vue d'ensemble de l'usine depuis la berge nord du bassin Carnot.Honfleur. Usine de produits chimiques Ceca. Vue d'ensemble de l'usine depuis la berge nord du bassin Carnot. d’industries chimiques (Ablon, Honfleur, La Rivière-Saint-Sauveur) et métallurgiques (Dives-sur-Mer).

Le patrimoine industriel augeron aujourd’hui

Livarot. Machine à vapeur à piston.Livarot. Machine à vapeur à piston.Environ 200 établissements, en activité, reconvertis ou désaffectés, témoignent de cette aventure industrielle en pays d’Auge. La briqueterie de Glos et son exceptionnel four Hoffman ou l’usine Leroy de Livarot et sa machine à vapeur, protégée au titre des Monuments historiques, comptent parmi les plus emblématiques.

Compris entre la vallée de la Dives à l'ouest et les franges du département de l'Eure à l'est, bordé au nord par le rivage de la Manche et délimité au sud par le département de l'Orne, l'arrondissement de Lisieux se confond avec le Pays d'Auge.

Un relief accidenté, fragmenté en vallons et en versants resserrés, des altitudes souvent supérieures à 150 m, des sols argileux et une importante couverture végétale au sommet des escarpements en font l'une des régions normandes les plus humides. L'eau y est partout présente. Deux fleuves, la Dives et la Touques, parcourent le territoire du sud au nord et reçoivent l'apport d'un dense réseau d’affluents, parmi lesquels la Calonne, l'Oudon, la Vie et, surtout, l'Orbiquet, dont le cours sinueux, long d'une trentaine de kilomètres, ne mettait pas moins de soixante moulins en mouvement en 1809.

Si les ressources hydrauliques sont abondantes, le sous-sol n'offre guère de variété : pas ou peu de minerai de fer, pas davantage de couches calcaires suffisamment riches pour permettre l'implantation d'une solide industrie chaufournière. Seule l'argile est partout présente, en couches profondes. De longue date, son exploitation a donné lieu à la production de céramique utilitaire (poteries), architecturale (tuiles et briques) et décorative (épis de faîtage). Convenant mal aux labours, ces caractéristiques hydrographiques et géologiques se sont par contre montrées propices aux herbages.

Quelques prairies sont attestées dès le XIIIe siècle au sud de Saint-Pierre-sur-Dives et dans les vallées de la Vie et de la Viette, mais c'est au cours de la période moderne que débute la mise en herbe des terres labourées. Exigeant un travail moins long et nécessitant moins de bras que la culture des céréales, cette activité agricole a, pour une large part, déterminé les principales orientations industrielles augeronnes : production de toiles, de cidre, d'eau-de-vie et de fromages. Près de 47% des cent soixante-quinze établissements industriels recensés sur cette aire d'étude étaient consacrés à l'une ou l’autre de ces activités.

L'important réseau hydrographique qui draine le territoire a naturellement favorisé l'nstallation de nombreux moulins : moulins foulons (le long de l'Orbiquet), moulins à tan (Saint-Pierre-sur-Dives), moulins à papier (notamment autour de Bonneville-la-Louvet et du Mesnil-Guillaume) ou moulins à grains. Comme partout en France au début du XIXe siècle, cette ressource énergétique a été particulièrement sollicitée par les industriels. L'énergie vapeur va également permettre de répondre à leurs besoins besoin, de pallier les insuffisances ou l'absence de force hydraulique, de mettre un terme aux inévitables conflits entre usiniers et propriétaires riverains au sujet des droits d’eau et conduire à la construction d'importantes usines au cœur des villes.

La commune du Mesnil-Guillaume accueille vers 1813 la première filature hydraulique de l'arrondissement. Elle était affectée au travail du coton, activité qui s'exerça également plus ou moins durablement à La Chapelle-Yvon, Ouilly-le-Vicomte, Saint-Jacques, Croissanville, Surville, Thiéville et Lisieux. Pourvoyeur non négligeable d'emplois (105 ouvriers à La Chapelle-Yvon en 1844, 290 à Croissanville en 1860), le filage du coton est cependant une activité marginale : les filés n’étaient en effet pas traités sur place, mais expédiés vers les principaux centres régionaux de tissage (Condé-sur-Noireau, Flers et Rouen), voire hors région (Lyon notamment) ou vers le pôle rubanier de Thiberville (Eure). S'inscrivant logiquement dans la tradition textile augeronne, les filatures se consacrent surtout au traitement de la laine et du lin. Une première filature de laine est établie en 1817 sur le site de la Fontaine-Gosse à Orbec, cinq autres sont mises en place avant 1825 à Lisieux, Orbec et Saint-Martin-de-Bienfaite, mais c'est surtout au cours du deuxième quart du XIXe siècle que se multiplient les constructions : dix-huit nouveaux établissements sont créés au cours de cette période, dont huit le long de l'Orbiquet et six à Lisieux. La première filature mécanique de lin normande est établie en 1826 à Mézidon, le premier tissage mécanique en 1844 à Beuvillers, mais c'est sous le Second Empire que les créations se font plus nombreuses : une nouvelle usine est construite en 1853 à Lisieux (rue Duhamel), une dizaine d'années plus tard neuf sont en activité dans cette ville et dans les communes voisines de Saint-Jacques et Saint-Désir. La crise économique qui intervient dans les dernières années du Second Empire met à mal les établissements textiles augerons, en premier lieu les moulins à foulon, les ateliers de blanchiment, mais aussi plusieurs filatures. Leur fermeture est partiellement compensée par l'implantation, le plus souvent dans des usines désaffectées, d'ateliers d'effilochage mais le déclin de l’industrie textile s'amplifie après 1875, seules les entreprises les plus importantes (Méry Samson, Adeline, Gérault et Louiset à Lisieux, Laniel à Beuvillers, Lisieux et Lisores) poursuivant tant bien que mal leur activité jusqu’au milieu du XXe siècle. Au même moment, se développent les industries agro-alimentaires.

On doit au chemin de fer (la liaison ferroviaire entre Paris et Lisieux en 1855 mit les marchés parisiens à six heures environ de la capitale augeronne, au lieu de trois jours) et à deux associations (l'Association normande et l'Association française pomologique, relayée en 1893 dans le Calvados par la station pomologique de Caen dirigée par Georges Warcollier) l'industrialisation, dans les vingt dernières années du XIXe siècle, de ces deux secteurs d'activités. L'augmentation des superficies plantées en pommiers entre 1830 et 1850, qu'autorisait un couchage en herbe plus important, et la crise du phylloxera subie par le vignoble français de 1863 à 1890, qui s'accompagne d'une hausse du prix du vin et d'une défiance des consommateurs à l'égard de cette boisson, ont également concouru à l'essor des cidreries. Les fromageries industrielles (celles d'Orbiquet à Orbec, de la Houssaye à Boissey, de Saint-Maclou au Mesnil-Mauger, du Fossard à Saint-Martin-de-Bienfaite, de Mesnil-Guillaume, Saint-Loup-de-Fribois...) se consacrent surtout à la fabrication du camembert, qui exige moins de lait et moins de temps que celle d’un livarot. Au tout début du XXe siècle, quelques grandes familles se partagent l'essentiel de la production : les Lanquetot à Saint-Martin-de-Bienfaite et à Orbec, les Lepetit au Mesnil-Mauger et à Bretteville-sur-Dives, les Bisson à Livarot et dans quelques communes voisines. La production de cidre est en net recul dès 1929. L'importation des cidres anglais, l'évolution du goût des consommateurs, l'habitude prise par les soldats des tranchées de consommer du vin plutôt que du cidre sont autant de facteurs qui expliquent le déclin de la boisson normande. La reprise ne s'amorce qu’au cours des années 1960-1970, à la faveur du développement du marché du jus de pomme, des concentrés et des eaux-de-vie. Elle est confortée par plusieurs actions mises en place en 1980 (rénovation du verger, programmes de plantation de vergers spécialisés...), qui ont notamment permis l'essor d’un verger jeune en Pays d’Auge, où le cidre bénéficie d’une AOC depuis 1996. Débouché important pour une production parfois excédentaire, les distilleries industrielles sont couramment construites en même temps que les cidreries. Le premier conflit mondial leur ouvre le marché de la fourniture d’alcools pour la confection de poudres explosives et de carburant. Après l'abandon des contingents d'alcools d'État en 1971, les distilleries augeronnes se consacrent à la seule production du calvados, qui bénéficie depuis 1942 d'une appellation d'origine réglementée, reconnue AOC en 1984.

L’exploitation des ressources argileuses du sous-sol augeron est attestée dès l'Antiquité par les découvertes archéologiques, puis par les sources écrites. Dès la fin du XVe siècle au moins, un centre actif de production de pots et d'épis de faîtage est établi à Manerbe et au Pré-d’Auge. Le métier de « couvreur de tuiles » paraît se développer à la fin du XIVe siècle, mais il faut attendre le XVIe siècle pour trouver des mentions plus nombreuses de tuileries, autour des centres potiers mais aussi à Saint-Jean-de-Livet et à Boissey. Jusque dans les années 1880 au moins, les ateliers sont de petite taille, ne pratiquant qu'une activité saisonnière et ne diffusant leurs produits que localement, exceptionnellement en Haute-Normandie. N’employant que peu d’ouvriers (moins de cinq le plus souvent), certains fours ont perduré jusqu'au début du XXe siècle, tandis que d'autres n’ont été actifs que le temps d'un chantier. Les arrêtés préfectoraux qui imposent, au début du XIXe siècle, de ne plus construire en pan de bois et de ne plus couvrir en chaume afin de limiter les risques d'incendie, mais surtout l'essor de la construction tant en ville que le long des côtes normandes à la faveur de l'explosion du tourisme balnéaire, imposent une demande plus importante en matériaux de construction résistants, faciles à mettre en œuvre et d'un coût limité : la demande se traduit par une modernisation des équipements existants ou par la construction de nouveaux établissements, mettant à profit des procédés d'extraction de l'argile et de préparation de la pâte plus performants, remplaçant les traditionnels moules en bois par des machines (étireuses, presses circulaires...), le séchage à l'air libre sous des hallettes par un séchage artificiel, les fours intermittents par des fours à feu continu. De telles usines sont construites à Dozulé, Glos, Auvillars, Beaumont-en-Auge, Coquainvilliers, etc. Vers 1910, les tuileries augeronnes avaient pratiquement toutes disparu. Entre les deux guerres, il ne subsistait plus qu’une dizaine de briqueteries. L'important marché de la Reconstruction permit à quelques usines (Saint-Désir, Saint-Martin-de-Bienfaite...) de poursuivre leur activité jusqu’en 1950 environ, voire de redémarrer une production abandonnée depuis plusieurs années (la Joquetterie à Cerqueux). L’activité céramique n'est aujourd’hui plus représentée que par un seul établissement, la briqueterie Lagrive à Glos.

Les industriels ont naturellement cherché à tirer profit de l'ouverture sur la mer. Trois ports s'alignent le long des côtes augeronnes : Honfleur, sur la rive sud de l'estuaire de la Seine, Trouville, à l'embouchure de la Touques, Dives, à l'embouchure de la rivière éponyme. La construction d'une usine d'électrométallurgie à Dives-sur-Mer en 1891 répondit, pour partie, au souhait des dirigeants de la société de recevoir à moindre coût cuivre américain et charbon anglais et de commercialiser, de la même manière, les produits fabriqués. L'ensablement de l'embouchure de la Dives, rendant le port inaccessible aux navires de gros tonnage, n'a pas cependant autorisé le maintien durable de ce mode de transport. Trouville et, surtout, Honfleur offraient de plus sûres garanties. Les exportations y étaient de peu d'importance, mais les importations restaient actives, en particulier celle de la houille. Depuis les trois dernières décennies du XIXe siècle, elle étaient pour la plupart assurées par des entreprises spécialisées, disposant du matériel nécessaire au déchargement des navires. Toutes se dotèrent d’équipements permettant de transformer en agglomérés une partie de ce combustible, dont faisaient usage non plus seulement les industriels, mais aussi les chemins de fer de l'État et les entreprises de battage. À la fin du XIXe siècle, les importations de bois du Nord dépassaient en tonnage celles de houille. Honfleur, où ce commerce est attesté dès 1830 au moins et où s'installe une première scierie mécanique en 1833, occupait en 1877 le premier rang parmi les ports français pour l'importation de bois de construction en provenance de Suède, Norvège, Russie, Roumanie, Canada et États-Unis, devant Dieppe, Dunkerque, Calais et Boulogne. La ville et les communes limitrophes virent se construire de vastes entrepôts de bois du Nord (sapins rouge et blanc) et d'Amérique (pitchpin) et s'implanter d'importantes scieries et parqueteries (société des Docks et Magasins généraux à La Rivière-Saint-Sauveur, dans le quartier du Poudreux, société anonyme des bois exotiques, société Ullern...). L'okoumé, bois du Gabon réputé pour son imputrescibilité, fut plus particulièrement utilisé par les usines de contreplaqué. D'abord destinée à l’industrie aéronautique, cette production avait été introduite en 1912 à Lisieux par Georges Leroy, à qui l'on doit également d'avoir créé en 1901, à Livarot, la première usine de boîtes de fromages en bois de peuplier. La région de Honfleur a également abrité plusieurs usines chimiques. À partir de 1854 au moins et jusqu’en 1874, les frères Hugues et Émile Sorel, huiliers depuis 1836, fabriquaient des savons dans leur usine située cours d’Orléans (actuellement cours Albert-Manuel). Les activités se diversifient après 1875, le port voyant arriver des chargements plus nombreux de phosphates en provenance d’Algérie et des États-Unis, de nitrates du Chili et de pyrites de France et d'Espagne. Les usines les plus importantes sont alors établies à l'est du bassin Carnot (usine d'engrais de la Compagnie du phospho-guano), à La Rivière-Saint-Sauveur (usines de matières plastiques et de blanc de zinc) et à Ablon (usine de dynamite).

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le bilan est lourd pour l'industrie augeronne. En 1946, le président de la chambre de commerce de Honfleur-Lisieux dresse un tableau alarmant de la situation industrielle de sa circonscription : sur les huit usines textiles encore actives au moment du conflit, trois sont détruites, deux sont endommagées à plus de 50 %. Semblable constat dans le secteur agro-alimentaire, où cinq établissements sont détruits et douze détériorés à plus de 50 %. Pour de nombreux petits ateliers, les pertes sont telles que toute reprise paraît impossible. Les ports sont envasés, les écluses et les appareils de levage démontés ou démolis. Un nouveau paysage industriel se dessine bientôt. À l'exception de celle de Glos, les briqueteries, dont l'activité avait été soutenue par les chantiers de la Reconstruction, cessent peu à peu de fonctionner. La fermeture dans les années 1950-1960 des usines de Lisores, Beuvillers, d'Orival, du Chemin Wicart et de la rue Rose-Harel à Lisieux marque la fin des activités textiles. Dans l'industrie laitière, le rachat de plusieurs unités par le groupe Besnier est suivi, plus ou moins rapidement, de leur fermeture. Le secteur cidricole connaît lui-aussi d'importantes restructurations, quelques grandes sociétés telles les Cidreries du Calvados (usines de Livarot et de Beuvillers), les Cidreries-distilleries réunies (usine d'Orbiquet), les cidreries de Sainte-Foy-de-Montgommery et du Breuil-en-Auge contrôlant l'essentiel de la production. Depuis la fermeture en septembre 2012 de l’usine Plysorol à Lisieux, l'industrie du bois n'est plus représentée que par la Cibem à Saint-Pierre-sur-Dives et Essences Fines à Honfleur. Parallèlement, les ateliers vacants ont accueilli de nouvelles activités : à Saint-Germain-de-Livet, une usine de petite métallurgie s'est établie dans une ancienne filature de lin, à Lisieux les établissements Castres ont installé une fabrique de selles de bicyclette dans l'usine de rots du Camp-Franc, Dahl (appareils de freinage pour poids lourds) a occupé la filature Lambert, Wonder celle d'Orival. À l’exception de ces deux dernières, les anciens bâtiments sont aujourd’hui inoccupés et menacés. Depuis l'opération de recensement du patrimoine industriel, plusieurs établissements ont disparu (usines d'électro-métallurgie de Dives-sur-Mer, de matières plastiques de La Rivière-Saint-Sauveur, Isoroy à Saint-Pierre-sur-Dives, briqueterie de Dozulé, dynamiterie d'Ablon...).

Parallèlement à ces disparitions, s'affirme un nouveau patrimoine industriel. Aux côtés des industries fromagères et cidricoles encore solidement implantées, des constructions contemporaines ambitieuses abritent depuis les années 1990 des activités comme la petite métallurgie, la construction mécanique ou la production d'équipements automobiles. À Saint-Désir, l'usine Axe (fabrication de tôlerie fine pour l'électronique) est l'œuvre de l'agence d'architecture dirigée par Gérard Franc (1946-2011). Construite en verre, aluminium et acier, couverte de toits bombés, elle a reçu le prix Architecture et Maîtres d’ouvrage (AMO) en 1996. Ce cabinet renommé a également conçu les usines Knorr-Bremse à Lisieux (systèmes de freinage ferroviaire et poids lourds), Jacomo à Deauville (parfums et cosmétiques) et Gesnouin à Pont-l'Évêque (produits alimentaires). Cette dernière entreprise a confié à Pascal Sirvin la réalisation d'un bâtiment de stockage. Épousant le tracé en courbe du cours de la Calonne, celui-ci, livré en 1999, présente une façade principale de panneaux recouverts d'ardoise, évocation des façades essentées du Pays d'Auge.

L'arrondissement de Lisieux comptait, au moment de l'étude, 204 communes. Pour 69 d'entre elles, a été ouvert au moins un dossier patrimoine industriel : Ablon, Auquainville, Les Authieux-sur-Calonne, Auvillars, Beaumont-en-Auge, Beuvillers, Blangy-le-Château, Boissey, Bonnebosq, Bonneville-la-Louvet, Bretteville-sur-Divesd'd'Auge), La Folletière-Abenon, Friardel (devenue La Vespière-Friardel), Glanville, Glos, Gonneville-sur-Honfleur, Heurtevent (devenue Livarot-Pays-d'Auge), Honfleur, Lessard-et-le-Chêne, Lisieux, Livarot (devenue Livarot-Pays-d'Auge), Le Mesnil-Bacley (devenue Livarot-Pays-d'Auge), Le Mesnil-Guillaume, Le Mesnil-Mauger, Mézidon-Canon, Mittois, Monteille, Montreuil-en-Auge, Montviette, Les Moutiers-Hubert (devenue Livarot-Pays-d'Auge), Moyaux, Orbec, L'Oudon, Ouilly-le-Vicomte, Ouville-la-Bien-Tournée, Pont-l'Évêque, Putot-en-Auge, La Rivière-Saint-en-Auge, Rocques, Saint-Arnoult, Saint-Denis-de-Mailloc, Saint-Désir, Saint-Germain-de-Livet, Saint-Jean-de-Livet, Saint-Julien-de-Mailloc (devenue Valorbiquet), Saint-Loup-de-Fribois, Saint-Martin-aux-Chartrains, Saint-Martin-de-Bienfaite-la-Cressonnière, Saint-Martin-de-Mailloc, Saint-Martin-de-la-Lieue, Saint-Michel-de-Livet (devenue Livarot-Pays-d'Auge), Saint-Pierre-sur-Dives, Sainte-Foy-de-Montgommery (devenue Val-de-Vie), Sainte-Marguerite-de-Viette, Surville, Thiéville, Touques, Tourgéville, Vieux-Pont (devenue Vieux-Pont-en-Auge), Villers-sur-Mer.

La brique est le principal matériau de gros œuvre. Parmi les cent soixante-quinze établissements étudiés, cent douze en font usage, soit entièrement, soit en remplissage de pan de bois ou de pan de fer. Ailleurs, les maîtres d'œuvre ont privilégié la pierre calcaire sous forme de moellons (trente et une références), plus rarement le béton (six références). L'ardoise couvre la plupart des toits des ateliers (quatre-vingt-dix-huit références), devant la tuile, mécanique ou plate (respectivement vingt-cinq et quinze références), le ciment amiante (dix-sept références), parfois la tôle ondulée ou le béton. Les usines se dressent couramment sur deux ou trois niveaux (respectivement quatre-vingt-dix-huit et trente-trois références), souvent surmontés d'un étage de comble ou d'un comble à surcroît, exceptionnellement sur six. Les ateliers de tissage sont en simple rez-de-chaussée, couverts le plus souvent de sheds. En raison des destructions survenues au cours de la Deuxième Guerre mondiale, peu d'entre eux sont en place, mais les représentations iconographiques (cartes postales, gravures..) nous montrent des bâtiments conformes à ceux que l'on peut encore observer à Lisieux, rue Rose-Harel ou rue d’Orival notamment. Quelques ateliers présentent des éléments de décor, jouant notamment sur la polychromie ou la mise en œuvre de la brique, ce même matériau ou la pierre calcaire soulignant les chaînages, dessinant des bandeaux horizontaux ou marquant l'encadrement des baies.

Les logements patronaux sont assez peu nombreux dans l'arrondissement. Celui du filateur Rosney, à Ouilly-le-Vicomte, est pratiquement le seul exemple pour la première moitié du XIXe siècle. Après 1850, les constructions sont surtout réalisées pour les industriels du textile établis à Lisieux et les propriétaires d'établissements fromagers ou cidricoles. Les premiers n'ont cependant jamais fait construire leur demeure sur le site de leur usine, mais ailleurs en ville, voire hors de celle-ci. Il s'agit du reste moins de logements patronaux que de maisons de notables, la plupart des commanditaires, autant connus pour leurs fonctions électives (députés, sénateurs…) que pour leur statut d'industriels, déléguant la gestion de leurs usines à des contremaîtres ou à des directeurs, eux-mêmes le plus souvent logés hors de l'usine. Plusieurs de ces logements ont été transformés ou affectés à de nouveaux usages : celui de Paul Duchesne-Fournet, détenteur de l'usine d'Orival a accueilli de 1954 à 2004 l'hôtel des finances, tandis que celui de Méry Samson, co-fondateur d'un tissage rue Rose-Harel, abrite depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale la sous-préfecture de Lisieux. Les fromagers qui se sont installés sur le site d'une exploitation agricole ont parfois préféré occuper un logis préexistant plutôt que d'en construire un, l'adaptant au besoin à leur nouveau rang social (fromageries de Montaudin au Mesnil-Bacley et du Manoir à Mittois). L'habitat ouvrier est à peine plus présent. À Lisieux, les bombardements de la dernière guerre ont détruit une partie des logements destinés aux personnels des filatures. Ceux encore en place consistent en immeubles en rez-de-chaussée (rue Rose-Harel) ou à deux niveaux (rues Ferdinand-Daulne et d'Orival à Lisieux, la Fabrique à Saint-Germain-de-Livet, l'Église à Saint-Martin-de-la-Lieue, etc.), en brique ou enduits, presque toujours pourvus de jardins. À Beuvillers, une cité ouvrière composée de quatre maisons pouvant loger chacune plusieurs familles s'aligne le long de la route départementale 519, près du tissage de lin fondé par les Laniel. Cette famille d'industriels avait largement participé au développement du village, faisant construire une école en 1848 et plusieurs maisons. À Livarot, Georges Leroy apporte les financements nécessaires à la Société d'habitation à bon marché pour qu'elle aménage, rues Chasles et Paul-Banaston, une cité pour ses ouvriers. Les cités de Dives-sur-Mer, construites à partir de 1891, en parties détruites à l'issue de la fermeture de l'usine en 1986 puis lors de l'aménagement de Port-Guillaume sur la friche industrielle, ont été complétées par un ensemble de logements destinés aux cadres de l'usine.

Peu d’architectes ou d'entrepreneurs ont été identifiés. Delamarre, « architecte mécanicien » à Orbec, est l'auteur en 1817 de la filature de la Fontaine-Gosse ; Leroux, ingénieur des usines à gaz d'Elbeuf, installe en 1843 celle de Lisieux ; l'entrepreneur Gérard appose sa plaque en 1864 sur le bâtiment de la filature du Mesnil-Guillaume, tout comme F. Huvé, de Lisieux, scelle la sienne sur l'un des piliers du portail d'entrée de la fromagerie aménagée dans cette même commune vers 1895 ; Aristide Corcoral, ingénieur civil à Trouville, dresse les plans de l'usine de traitement des eaux de Touques (1897), Auguste Lucien Stinville, ingénieur parisien, construit celle de la Compagnie du phospho-guano (actuellement CECA) à Honfleur vers 1895. Eugène Burel, reconnu pour sa capacité à construire des usines "fort remarquables", est chargé en 1860 d'édifier la filature d'Orival à Lisieux, Charles Fleury, architecte à Rouen, est l'auteur d'au moins trois tissages à Lisieux, rue Duhamel (1853), rue d’Alençon (1869) et rue Ferdinand-Daulne (non daté). Lors de la Reconstruction, l'architecte Maurice Vincent, particulièrement actif à Trouville dès les années 1930, intervient sur plusieurs chantiers : distilleries Floquet (1944-1956), Busnel (1944-1951) et Bottentuit (1945-1951) à Pont-l'Évêque, briqueteries de la Croix-Sonnet à Touques (1946-1953) et d'Équemauville (1952-1953), chantier naval Macario à Deauville (1948-1950). Georges Trouillot est quant à lui sollicité en 1949 pour la construction de la nouvelle laiterie Nestlé à Lisieux, rue d'Orival.

Le recensement du patrimoine industriel de l'arrondissement de Lisieux a été mené de 1988 à 1996.