Dossier d’aire d’étude IA00121301 | Réalisé par
Plum Gilles
Plum Gilles

Chercheur à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Basse-Normandie entre 1992 et 1994, en charge de l'étude sur les stations balnéaires de Lion-sur-Mer et Hermanville-sur-Mer (Calvados).

Cliquez pour effectuer une recherche sur cette personne.
  • patrimoine de la villégiature, Lion-sur-Mer
présentation de la commune de Lion-sur-Mer
Auteur
Copyright
  • (c) Région Normandie - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

  • Aires d'études
    Lion-sur-Mer
  • Adresse
    • Commune : Lion-sur-Mer

La station balnéaire de Lion-sur-Mer n'est pas une création ex-nihilo comme celle d'Hermanville ou celle plus ambitieuse de Cabourg. Au début du XIXème siècle, Lion était déjà divisé entre un bourg rural à l'ouest, autour du château, et un bourg maritime à l'est, entre l'église et la mer. Les hommes de Lion sont cultivateurs ou pêcheurs, et les femmes souvent dentellières (1). Le village de pêcheurs est constitué de petites maisons en moellon enduit avec chaînage et encadrement de baies en pierre. Elles ont en général deux travées et une couverture à deux pans en ardoise.

Lion-sur-Mer, le "Bougival de Caen" (2), est sans doute fréquenté par les Caennais dès la Monarchie de Juillet, mais il ne connaît pas alors le développement de Luc-sur-Mer. Deux ou trois édifices seulement sont construits en bord de mer, entre les rues Edmond Bellin et des Bains, et sans doute utilisés dès l'origine comme auberge ou hôtel de voyageurs (3). Luc est plus accessible depuis Caen, mais sa tradition maritime est moins ancienne : il est probable que l'existence d'un village de pêcheurs attire les citadins à Lion comme c'est le cas à Trouville ou Courseulles (4), même s'ils ne laissent pas encore nettement leur marque.

C'est sous le Second Empire que Lion éprouve son extension la plus spectaculaire. Les guides vantent les plages de la futur Côte de Nacre pour leurs prix modiques, pour la salubrité d'une mer plus salée et iodée qu'à l'est de l'Orne et pour leur situation ni trop proche ni trop lointaine de villes bien approvisionnées. Face au caractère trop mondain de Trouville ou au caractère trop artificiel de Cabourg ou Houlgate, "Ce n'est réellement que sur ces petites côtes, encore oubliées, qu'on peut goûter les douceurs de la villégiature maritime" (5). A Lion des constructions s'élèvent sur tout le front de mer depuis la limite d'Hermanville jusqu'au passage de la Mer. Ce ne sont plus des hôtels, mais le plus souvent des maisons de taille moyenne ou grande, construites en général par des parisiens, au milieu de jardins. Les plus importantes se trouvent à l'est de l'hôtel de la Plage, sur les dunes, qui offrent aux citadins de grands terrains libres proches des commerçants et de l'animation du village, mais aussi d'accès direct sur la mer. C'est à ce moment que le Lion balnéaire naît vraiment : en 1856 la plage est louée à L. P. Pinchon pour installer des cabines (6), en 1861 le maire demande au préfet de fixer un alignement pour les bâtiments qui commencent à s'élever en front de mer et en 1863 l'ingénieur en chef conseille la création d'une digue pour protéger ces premières constructions (7).

Les constructions liées à l'afflux des baigneurs s'étendent progressivement sur une mince frange en bord de mer en partant des dunes séparant le vieux Lion de la mer. Mais l'architecture présentant une réelle originalité par rapport au type vernaculaire - on l'appellera balnéaire, ou simplement de villégiature - se limite à la partie est, là où se trouvaient les vastes terrains des dunes. Une fois cette zone occupée, la construction de demeures de villégiature importantes devient rare. Tout développement vers l'intérieur est freiné par l'éloignement de la mer, seule attraction offerte par un village trop calme et au site peu spectaculaire, freiné aussi par un terrain qui devient marécageux vers le sud-ouest. Juste derrière la première ligne de villas sur la mer, au sud de l'ancienne route de Ouistreham, existe cependant encore une seconde ligne de maisons sur le bord des dunes. Bien qu'il soit difficile de les dater certainement, il semble bien que les plus ambitieuses, celles qui s'éloignent le plus du type des maisons de pêcheurs et ont donc dû être construites pour des estivants, aient globalement précédé de quelques années les villas de la première ligne. Même s'il est probable que les pionniers du balnéaire aient préféré se soustraire aux atteintes de la mer - les archives des travaux publics regorgent d'affaires de terrains emportés par des grandes marées - et se soient donc installés sur la même ligne que le vieux Lion, il n'y a pourtant là rien de systématique.

Il faut noter encore un groupe de demeures importantes construites perpendiculairement à la mer le long de la rue Marcotte à la fin des années 1860Maison dite Thérèse. Rue Marcotte. Elévation sud.Maison dite Thérèse. Rue Marcotte. Elévation sud.. Elles ne font pas face à la mer mais aux marais. D'un style classique proche des maisons de notables de la région et construites en fait pour des caennais, elles font sans doute référence à un type de villégiature moins parisien.

La IIIème République voit la construction des grandes demeures finir de se compléter sur les dunes de Lion, mais surtout se poursuivre sur une portion ouest des dunes d'Hermanville considérée jusqu'à la fin du siècle comme une simple extension de Lion. Lion même se développe surtout à l'ouest, hors des dunes, dans un parcellaire rural très étroit et devant une plage réduite, avec des maisons plus modestes et employant un vocabulaire plus vernaculaire. Au sud-ouest, quelques maisons modestes mais au plan et au décor particulièrement élaborés forment un groupe isolé le long de la nouvelle route de Courseulles à Ouistreham.

En 1891 est inaugurée la ligne de tramway à voie étroite de la Société des Etablissements Decauville entre Luc et Ouistreham, reliée à Caen en 1895. Une desserte moderne est enfin créée. Mais, si la construction de résidences secondaires s'amplifie sur la Côte de Nacre jusqu'au début des années 1890 (8), on pourrait pourtant avoir l'impression que Lion a déjà manqué l'occasion de devenir une station balnéaire importante. Un casino existe depuis 1863, un théâtre est construit en 1877 (pour être détruit en 1879), mais ce sont des établissements très modestes, incapables d'attirer une riche clientèle. D'ailleurs, c'est le calme sans doute que recherchent les propriétaires des grandes villas et qui leur a fait préférer Lion à des stations plus connues comme Trouville ou même la voisine Luc. Ils n'ont donc pas recherché, comme leurs homologues d'Houlgate ou de Deauville, le développement de leur commune d'adoption. Ils restent entre eux dans l'îlot chic formé par les terrains en bord de mer entre l'hôtel de la Plage à Lion et la brèche d'Hermanville : c'est là qu'on trouve les riches familles parisiennes, caennaises ou lorraines, c'est là que séjournent les célébrités telles que Gyp, Anatole France ou même le fils du roi d'Espagne, Don Carlos (9). Leurs villas suivent le style de la villégiature de la Côte Fleurie ou de Caen. Toitures complexes et débordantes, bois découpés, brique, céramiques, décor ornemental sculpté se rencontrent souvent. Il faut que ses possibilités décoratives l'aient mise à la mode pour que la brique soit utilisée, car c'est un luxe dans la région (pl.III). La villa Nancy, seule maison avec trois façades entièrement en brique, en présente une quatrième, presque aveugle et peu visible, construite dans la technique du pays, pierre et moellon enduit.

A part cet îlot, le caractère que prend alors Lion est celui d'une station balnéaire pour budgets modestes, sans grande fantaisie architecturale ou décorative, construite dans la technique pierre et enduit du pays qui semble bien triste à certains auteurs de guides de l'époque: "Lion, loin d'être coquet, est bâti sans ordre et sans goût ; les maisons y ressemblent plus à des casernes qu'à des villas ; et dire qu'on avait de si jolis modèles à Trouville et à Deauville" (10). En arrière le village de pêcheurs garde son caractère tout en se densifiant par la construction de petites maisons traditionnelles sans doute souvent destinées à la location. La dentelle et la pêche voyant leur activité baisser très fortement au début de la IIIème République (11), c'est de la présence des estivants que les Lionnais peuvent espérer tirer des ressources.

La villégiature n'impose plus son style que dans quelques maisons isolées, plus modestes que celles construites au Second Empire sur la partie est du rivage. Certaines, sans doute liées à la présence d'estivants, forment une famille caractérisée par la même technique de construction: le pan de bois non régionaliste (pl.II). C'est un système employé depuis la première moitié du XIXème siècle pour construire des communs, des bâtiments de chemin-de-fer, mais aussi ce qu'on appelait des chalets. C'est en effet une technique économique et facile de mise en œuvre, mais aussi susceptible de partis décoratifs intéressants. Il s'agit d'un pan de bois aux poteaux très écartés qui permet de fournir une structure assez solide pour être remplie par une cloison d'un seul rang de briques tout panneresse. Ce type de maison s'apparente sans doute à un type populaire de villégiature, particulièrement présent à Ouistreham ou à Saint-Côme-de-Fresné par exemple, qui se manifestait par des agglomérations de cabanes de planches, occupées quelquefois seulement le dimanche par des habitants d'une ville voisine (12). Il est difficile de savoir si quelques-unes n'ont pas existé à Lion, ce qui serait probable vu la proximité de Caen et la modicité des prix.

A partir de 1920 le rythme de la construction se maintient mais de plus en plus sous la forme de lotissements et de plus en plus pour des Caennais. Lion-sur-Mer double sa superficie, mais sous la forme d'une banlieue résidentielle modeste de Caen à l'architecture sans soin ni originalité.

Peu d'architectes sont connus pour la construction des villas de Lion-sur-Mer. La villa des Sorbiers est édifiée par l'architecte parisien Louis-Alfred Adam, la villa Yvonne par Michel Legrand, la villa Beau Rivage dite la Sarabande par Auguste Nicolas et la villa du castel Louis a connu une intervention de l'architecte Navarre après sa construction. Enfin, la maison dite Martha puis les Sapins a probablement été bâtie par l'architecte Maget vers la fin du XIXème siècle.

Si l'on excepte le front de mer, il est d'ailleurs difficile de trouver un caractère balnéaire marqué à Lion-sur-Mer. A la fin du XIXème siècle, c'était pourtant la station la plus fréquentée de la Côte de Nacre en été, et par un public très diversifié, grâce à la grande quantité de petits logements ou de villas à louer plus encore que grâce à ses nombreux hôtels. L'éventail des loyers, depuis la chambre dans une maison de pêcheurs jusqu'à la grande villa, est le plus étendu et le plus complet de la Côte de Nacre (13). Mais Lion est surtout resté une station bon marché. Casino ; maison dite le Castel Louis. Vue d'ensemble.Casino ; maison dite le Castel Louis. Vue d'ensemble.En 1911 le casino doit fermer parce qu'il est trop modeste pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation, qui exige d'ailleurs aux petits chevaux, seul jeu réellement pratiqué, une mise minimum trop élevée pour les clients habituels (14). Encore en 1928 un estivant se plaint de ces "immeubles qui sont des maisons de paysans, sans conforts, tout juste salubres" (15) ; bien que Lion n'ait été érigé en station climatique en 1924 que sous la condition que seraient établis une adduction d'eau et des égouts, les travaux se feront attendre très longtemps (16).

Pourtant, par la forte présence de son passé de village de pêcheur, par son urbanisme dense contrastant avec un bord de mer d'hôtels et de villas entourées de jardins, Lion-sur-Mer aurait pu être en quelque sorte un petit Trouville. Tel quel, on peut surtout noter l'intérêt d'un front de mer relativement bien préservé. C'est pourquoi nous avons choisi d'ouvrir un dossier individuel sur tous les édifices du front de mer des dunes, les seuls, ou à peu près, capables de rivaliser avec les constructions des principales stations balnéaires. En dehors de cette zone, seuls quelques exemples particulièrement caractéristiques ont été sélectionnés.

(1) AD Calvados: 39 Edt 19/3. Recensement de 1820 à 1842.

(2) Henry Auxcouteaux de Conty, Les côtes de Normandie, Paris, [D.L. 1875].

(3) AD Calvados : 3P4802. Matrices cadastrales.

(4) Philippe Dupré, Histoire économique de la côte du Calvados (1830-1939), Caen, 1980.

(5) Docteur Constantin James, Guide Pratique aux eaux minérales et aux bains de mer, Paris, 1867.

(6) Pierre Cogny, La Côte de Nacre ; Lion-sur-Mer hier et aujourd'hui, Lion-sur-Mer, s.d.

(7) AD Calvados : 39 Edt 26/3. Lettre du maire au préfet du 13-9-1861 et lettre de l'ingénieur en chef des ponts et chaussées au préfet du 13-4-1863.

(8) Philippe Dupré, Histoire économique de la côte du Calvados (1830-1939), Caen, 1980, p.277.

(9) Pierre Cogny, La Côte de Nacre ; Lion-sur-Mer hier et aujourd'hui, Lion-sur-Mer, s.d.

(10) Joanne, Trouville et les bains de mer du Calvados, Paris, 1882. Voir aussi H.A. de Conty, Les côtes de Normandie, Paris, [D.L. 1875].

(11) Philippe

(11) Philippe Dupré, Histoire économique de la côte du Calvados (1830- 1939), Caen, 1980.

(12) Jean Provot, Histoire de Ouistreham des origines à 1939, Caen, 1981.

(13) Paul Gruyer, Bains de mer de Normandie, Paris, 1913.

(14) AD Calvados : M 3697. Casino de Lion-sur-Mer.

(15) AD Calvados : M 4264, lettre d'Ecoutin au préfet du 18-7-28.

(16) AD Calvados : M 4264, décret du 27-12-24. Plusieurs lettres rappellent à la municipalité les conditions.

Documents d'archives

  • AD Calvados. 3P. Matrices cadastrales, Lion-sur-Mer.

  • AD Calvados. F 5942. Papiers Auguste Nicolas.

  • AD Calvados. S. Travaux publics et transport : rivage, lais de mer.

  • AD Calvados. M. Administration générales : stations climatiques, casinos.

Bibliographie

  • PELVILLAIN, Hervé, LECHERBONNIER, Yannick, CORBIERRE, Pascal, DECAENS, François. Villas de Lion-sur-Mer et Hermanville-sur-Mer - Calvados. Caen : Développement culturel en Basse-Normandie, 1996. (Itinéraires du Patrimoine, n° 125), 22 p.

  • CONTY, Henry (Auxcouteaux de). Les côtes de Normandie. Paris, D.L., 1875.

  • DUPRE, Philippe. Histoire économique de la côte du Calvados, 1830-1939 : des activités traditionnelles au tourisme. Caen, 1980.

  • PROVOT, Jean. Histoire de Ouistreham des origines à 1939. Ouistreham, 1981.

  • CONSTANTIN, James. Guide pratique aux eaux minérales et aux bains de mer. Paris : V. Masson et fils, 1867.

  • COGNY, Pierre. Lion-sur-Mer hier et aujourd'hui : la Côte de nacre. Lion-sur-Mer : Syndicat d'initiative, DL 1960.

  • JOANNE, Adolphe. Trouville et les bains de mer du Calvados. Paris : Hachette, 1882.

  • GRUYER, Paul. Bains de mer de Normandie, du Tréport au Mont-Saint-Michel, guide pratique des stations balnéaires. Paris : Hachette, 1913.

  • LIOT, Eugène. Lion-sur-Mer, Hermanville. Caen : Impr. de E. Adeline, 1896.

  • La Normandie monumentale et pittoresque, tome 3, Calvados, Le Havre, 1895.

  • CHABAT, Pierre. Le Bois pittoresque. Paris, s.d.

Documents figurés

  • Gravure représentant le front de mer vers 1870. (Bibliothèque municipale, Caen)

  • Deux aquarelles représentant le front de mer vers 1890. (Collection particulière, Lion-sur-mer)

Date(s) d'enquête : 1993; Date(s) de rédaction : 1993
(c) Région Normandie - Inventaire général
Plum Gilles
Plum Gilles

Chercheur à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Basse-Normandie entre 1992 et 1994, en charge de l'étude sur les stations balnéaires de Lion-sur-Mer et Hermanville-sur-Mer (Calvados).

Cliquez pour effectuer une recherche sur cette personne.