Le moulin à papier de Louis Hubert est attesté en 1817. Il est implanté entre la filature de Pierre Dominique Pottier-Baillet à l’amont et le moulin à blé d'Adjutor Defontenay à l’aval. Louis Hubert, n’ayant pas reçu d’autorisation légale pour la construction de son moulin ni pour l’ouverture des canaux de dérivation nécessaires à son fonctionnement, est condamné en 1821 à 500 francs d’amande et à détruire son usine. Découragé par les conflits avec M. Defontenay et par l’insuffisance de la force motrice allouée à son moulin, Louis Hubert se résout à vendre son bien en 1823, alors que l’arrêté préfectoral du 22 août 1823 en régularise enfin la situation et autorise la création d’une chute sur la Lieure pour entraîner le moteur hydraulique de l'usine.
Le site est racheté par Victor Crépet, fabricant d’indiennes domicilié à Rouen, 11 rue Cauchoise. Celui-ci fait édifier par l’architecte Bidoux-Fontaine, plusieurs bâtiments destinés à abriter des battes et machines à cylindres mues par une roue hydraulique d’une force de 2 CV. Dès sa mise en service, la fabrique d’indiennes de Victor Crépet est une usine moderne : elle pratique notamment l’impression aux rouleaux de cuivre dont les techniques de fabrication et de gravure viennent d’être mise au point. L’indiennerie Crépet est réglementée par l’ordonnance royale du 31 décembre 1833. Victor Crépet est autorisé à maintenir en activité son usine à condition de respecter les conditions imposées. Celles-ci exigent la pose d’une vanne lançoire de 2,38 m de large, d’une vanne de chômage de 1,38 m de largeur reliée à la précédente par un engrenage, de deux vannes de décharge situées à la suite ayant aussi 1,38 m de largeur chacune, d’un déversoir à l’amont du vannage d’une largeur de 4,09 m, deux vannes d’irrigation d’une largeur totale de 3,74 m… Malheureusement, les aménagements hydrauliques réalisés par Victor Crépet ne sont pas conformes à ladite ordonnance, car effectués antérieurement à sa promulgation. L’usinier se voit donc contraint de demander une nouvelle enquête autorisant ses travaux. A l’issue de l’enquête, une nouvelle ordonnance royale est promulguée le 18 février 1836, modifiant la précédente. Mais les conflits de droits d’eau ne concernent pas que la force motrice allouée aux usiniers, ils portent aussi sur l’irrigation des prairies. Ainsi, l’opposition entre Victor Crépet et le bureau de bienfaisance de la commune de Charleval concernant l’irrigation d’une prairie au lieu-dit du Hom, bien que réglée entre les deux parties par une transaction sous seing privé du 16 septembre 1832, fait l’objet d’une ordonnance royale le 22 avril 1833 approuvant la transaction. Une nouvelle ordonnance royale promulguée le 27 avril 1838 autorise Victor Crépet « à maintenir dans leur état actuel les ouvrages qu’il a exécutés sur la rivière en accord avec l’administration du bureau de bienfaisance » suite à une autre transaction privée en date du 27 janvier 1834. Alors que les indienneries périclitent dans le département de l’Eure dès le début des années 1850, celle de Victor Crepet reste très active à cette époque malgré un incendie qui la détruit partiellement en 1841. En atteste l’autorisation qui lui est donnée par l'arrêté préfectoral du 1er septembre 1852 d’équiper son usine d’une chaudière cylindrique et d’une machine à vapeur de 6 CV pour la mise en mouvement des machines et le chauffage de ses cuves. La crise cotonnière qui sévit au début des années 1860 condamne finalement l’usine Crépet à la fermeture dès 1861, faute de pouvoir être approvisionnée en toile blanche.
L’indiennerie est reprise en location par MM. Renaoult et Gouel et reconvertie au travail du lin (rouissage et teillage). Son activité est strictement réglementée par l’arrêté préfectoral du 27 juillet 1866 afin que l’eau de la rivière utilisée pour le rouissage notamment soit rendue en totalité et parfaitement pure à la Lieure. La linerie emploie entre 100 et 150 ouvriers dès sa mise en route. Les agriculteurs du Vexin normand voient dans cet établissement, l'opportunité d’une culture nouvelle et lucrative qui leur assure de nouveaux marchés. Mais l'activité linière s'avère de courte durée.
En 1869, les frères Charles et Henri Quesney fondent la société en nom collectif Quesney Frères dotée d’un capital de 58 125 F, pour louer l’usine et y développer la production de casquettes. Face à l’accroissement de la production, les frères Quesney demandent en 1872 l’installation d'une machine à vapeur de 3 CV provenant des ateliers parisiens Cazaubon. Le moteur thermique est destiné à mettre en mouvement les batteries de machines à coudre qui constituent le principal équipement de leur usine. Pour faire face à la demande, un nouveau bâtiment, tout en longueur et en rez-de-chaussée servant d'atelier, de salle des machines et flanqué d’une cheminée est construit sur la rive droite de la Lieure. Il complète l’usine primitive construite en L sur deux étages sur la rive gauche de la rivière. Malgré la présence d'une machine à vapeur, le recours à l’énergie hydraulique est à nouveau sollicité et la société Quesney frères est autorisée par l'arrêté préfectoral du 3 novembre 1880 à remplacer le vannage de décharge et la roue hydraulique de l’usine. Le bâtiment d’eau qui abrite la nouvelle roue hydraulique est bâti à cheval sur la rivière et sert de jonction entre les deux ateliers. L’année suivante, les frères Quesney rachètent aux héritiers Crépet l’ensemble du site qui consiste en « maison d’habitation, bâtiments de fabrication, jardin, cour et verger, le tout divisé en deux parties par la route départementale ». Le succès de l’entreprise dépasse alors le niveau local : elle reçoit en 1885 une médaille d’or à l’exposition d’Anvers pour la qualité de sa production. Le recensement industriel réalisé en 1889 indique que l’effectif de l’usine est de 78 personnes et se compose de 2 contremaîtres, 8 ouvriers, 60 ouvrières et 8 enfants, dont plus de la moitié habite à Charleval. En 1891, l’usine compte un effectif de 80 ouvriers sans compter ceux travaillant au dehors. Le décès d’Henri Quesney, le 16 juillet 1900, entraîne la dissolution de la société mais Charles conserve l’établissement sous la raison sociale « Maison Quesney » et confie l'exploitation de l’usine de casquettes à Henri Dézéraud qui en est locataire.
Après la disparition de Charles Quesney, en 1910, sa veuve, Lucy Tessier, devient propriétaire de l’usine. A cette date, la Maison Quesney comprend 4 ateliers succursales dans l’Eure à Pont-Saint-Pierre, Ecouis, Puchay et Saussay-la-Campagne, sans oublier l’usine de Charleval qui assure une production de 500 à 600 casquettes par jour. Durant la Première Guerre mondiale, l’activité se diversifie avec la fabrication de toiles de tente pour l’armée. Au lendemain du conflit, J. Ladsous succède à Henri Dézéraud à la direction de l’usine. Touchée par la crise de 1929 et par la mauvaise gestion de la Maison Quesney, la production de casquettes, devenue peu importante, est arrêtée au début des années 1930.
Les bâtiments sont rachetés par la Société Gamard et Bacigalupo en 1936 pour la production de confiture, puis par la Société Meynent et Ricci en 1946 dont on ignore l’activité. Au début des années 1950, l’usine est définitivement désaffectée. La commune rachète le site en 1955, rase les bâtiments et fait construire à leur emplacement une petite cité pavillonnaire de 11 parcelles, dite cité des Casquettes, inaugurée en 1957.
Chargée de recherches à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Haute-Normandie, puis de Normandie, depuis 1992. Spécialité : patrimoine industriel.