Dossier d’œuvre architecture IA76000636 | Réalisé par
Real Emmanuelle (Contributeur)
Real Emmanuelle

Chargée de recherches à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Haute-Normandie, puis de Normandie, depuis 1992. Spécialité : patrimoine industriel.

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Decoux Jérôme (Contributeur)
Decoux Jérôme

Chercheur à l'Inventaire de Haute-Normandie (ville de Rouen et patrimoine portuaire)

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  • patrimoine industriel, patrimoine industriel de la vallée de la Basse-Seine
chai à vin
Œuvre étudiée
Auteur
Copyright
  • (c) Région Normandie - Inventaire général

Dossier non géolocalisé

Localisation
  • Aire d'étude et canton Vallée de la Basse-Seine
  • Hydrographies la Seine
  • Commune Rouen
  • Lieu-dit Le Ports, Presqu'île Waddington
  • Adresse quai Ferdinand de Lesseps
  • Cadastre 2010 KS 18
  • Dénominations
    chai
  • Précision dénomination
    chai à vin, chai de transit
  • Appellations
    chai-relais
  • Parties constituantes non étudiées
    quai, poste de chargement

La construction de ce grand chai à vin est projetée dès 1945 sur le modèle du premier chai de transit construit à Rouen en 1935 par la société Franco-Algérienne de Stockage. Ils sont l’expression de la rationalisation du trafic portuaire opérée dans les années 1930, remplaçant le système de transport en fûts par le trafic en vrac.

Le projet de ce nouveau chai à vin est porté par la Chambre de Commerce de Rouen et s’inscrit dans le contexte des grands travaux de reconstruction du port. Bien que relevant d’une initiative publique, l’équipement doit être mis à disposition de toutes les sociétés de transport privées qui en auraient l’usage. Le nouvel équipement est en effet destiné à la réception, au stockage et à la réexpédition des vins d’Afrique du Nord, d’Algérie notamment, importés jusqu’à Rouen par des navires citernes dits pinardiers, le port rouennais constituant jusqu’aux années 1970 le plus grand centre d’approvisionnement en vin de la région parisienne.

Le projet prévoit d’installer le chai sur la presqu’île Waddington entre la Seine et le bassin Saint-Gervais et de créer un réseau de canalisations souterraines doté d’un système de pompage permettant le transbordement du vin directement des cuves des navires citernes jusqu’à celles du chai. Le principe consiste à faire accoster et décharger les pinardiers coté fleuve où 6 postes de pompage sont installés et à charger les péniches qui doivent alimenter la région parisienne côté bassin Saint-Gervais. En complément du transport fluvial, l’expédition du vin peut également s’opérer par la route et le fer à l’aide du poste de remplissage des camions installé à l’est du chai et de la voie ferrée implantée au nord du chai.

Le programme fonctionnel du chai est élaboré en régie, sous l’égide de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Daniel Laval en décembre 1945 et prévoit : un bâtiment de plan carré de 28 sur 27 m de côté comprenant un sous-sol et quatre niveaux de cuves d’une capacité de 65 000 hectolitres, une station de vidange dédiée aux futs comprenant quatre édicules rectangulaires et un terrain de boulage installé à l’ouest réservé à la réception en fûts des vins fins tels que le Porto.

Sur les 39 dossiers de candidatures, la Chambre de Commerce de Rouen fait le choix de l’équipe associant l’architecte rouennais Pierre-Maurice Lefèbvre, l’entreprise de construction lilloise Michel Aubrun pour la structure en béton armé et la société bordelaise des Filtres Gasquet pour le système de pompage et d’ingénierie des fluides.

Le programme et la taille du chai sont finalement redimensionnés : sa capacité de stockage est portée à 96 000 hectolitres puis à 100 000 hl (ce qui en fait le plus grand chai d’Europe) répartie entre un sous-sol et trois étages de 24 000 hl dans des cuves de contenance variée avec des canalisations permettant un débit de 2 600 hl/h (le déchargement d’un navire citerne de capacité moyenne pouvant être ainsi assuré en 24 h). Le vin réceptionné à Rouen est directement déversé par pipe-line dans les réservoirs du sous-sol où ont lieu les opérations de douane. Pour les expéditions, le remplissage des péniches, wagons et camions citernes s’effectue par simple gravité. L’objectif du process de ce nouvel équipement est d’accélérer au maximum les opérations de transbordement et de réduire au minimum le temps de stockage du vin en chai.

Le permis de construire est signé le 1er novembre 1947 et le chantier est lancé dans la foulée. Afin d’assurer la stabilité de l’édifice sur le sol meuble de la presqu’île, de solides fondations sont réalisées : 8 250 m² de terre sont excavés et 562 pieux de la marque Francki (système performant breveté en 1911 par l’industriel belge, Edgard Frankignoul) sont mis en place. Pour réaliser la structure en béton armé du bâtiment, 1 000 T d’acier et 3 000 T de béton sont nécessaires. Tandis que les canalisations et vannages 70 T de cuivre et 35 T de bronze.

L’organisation interne du bâtiment est structurée de façon rationnelle avec, à chaque niveau du croisement, deux cheminements (transversal et longitudinal) qui donne naissance à un octogone à facettes de 7 m de longueur. L’espace intérieur est divisé en 5 niveaux d’activité (du sous-sol au 3e étage) que se partagent les cuves de stockage et les axes de circulation (coursives et escaliers).

Le rez-de-chaussée est à usage de bureau de la régie et de la douane, vestiaires, douches, réfectoire et cuisine côté sud, d’espace de stockage côté nord. Une cuverie secondaire, dotée de 20 cuves métalliques aux parois intérieures émaillées y sont ajoutées en 1954. Depuis le rez-de-chaussée, on accède à la cabine de commande du maître chai, véritable tour de contrôle permettant de gérer l’ensemble des opérations. En outre, un câble téléphonique, installé dans le réseau souterrain reliant les postes de déchargement au chai, permet la communication directe entre les agents chargés du transbordement.

Les étages abritent les cuves en béton armé dont les parois intérieures sont recouvertes de pavés de verre de 24 cm de côté afin d’éviter le contact direct du vin avec le matériau et faciliter après chaque opération le nettoyage des cuves à l’eau claire. Celle-ci provient d’un puits foré à proximité du chai ainsi que d’un réservoir de 1 000 hl doté d’une pompe également en abord. Chaque cuve est munie d’un hublot permettant le contrôle direct depuis les coursives. Des escaliers métalliques et un monte-charge assurent les circulations verticales.

De même que la conception interne du bâtiment, ses façades sont mises en œuvre pour maximiser les conditions de stockage du vin en maintenant une température constante de 12-13°. Pour cela, elles sont quasiment aveugles et composées de béton, d’épaisses plaques de liège, d’un vide d’air et d’un revêtement de brique.

La construction du chai est achevée en novembre 1950, après trois années de travaux et le nouvel équipement est inauguré le 15 décembre 1950 par Antoine Pinay alors ministre des Travaux publics. Il s’impose par son ingéniosité technique mais aussi par la qualité de son architecture typique de la Reconstruction : l’utilisation des matériaux (béton et brique) leur mise en œuvre, leur texture et leur couleur, la sobriété des façades aux lignes épurées simplement soulignées par des corniches et ponctuées de claustras… De même à l’intérieur du bâtiment, le dessin octogonal de la nef centrale, la distribution par coursives et l’éclairage naturel zénithal provenant de la toiture en shed confère au lieu une lumière diffuse et une atmosphère remarquable.

La mise en service du chai entraine le doublement du trafic de vin qui passant de 368 000 T en 1950 à 778 000 T en 1956, année record. Rouen confirme ainsi son statut de premier port français importateur de vin. Mais le déclin s’amorce rapidement. Le tonnage chute vertigineusement à 400 000 T en 1963, à 99 000 T en 1968 pour atteindre à peine 32 000 T en 1972, soit une baisse de trafic de 600 % en 10 ans. Cette crise s’explique par plusieurs facteurs : l’arrêt des importations de vin d’Algérie depuis l’indépendance du pays, la baisse des importations des vins de Porto, d’Italie et d’Espagne qui transitent désormais par les ports de Sète et de Marseille et la concurrence des grands ports du Nord (Anvers, Rotterdam, Hambourg). A cela s’ajoute un facteur d’ordre culturel : le changement radical des habitudes du français moyen qui réduit drastiquement sa consommation de pinard d’exportation au profit de vin français de qualité.

Cédé au Port de Rouen à la fin des années 1960, le chai ferme définitivement en 1981 puis est réutilisé comme bureau des Douanes jusqu’en 1993. Sans nouvelle affectation ni entretien depuis cette date, le bâtiment présente de fortes dégradations structurelles, notamment sur ces façades en béton armé. Il en va de même de l’intérieur en partie vandalisé. Quant à son réseau de canalisations et ses vannages convoités pour leurs matériaux (cuivre et bronze), il n’en reste plus aucune trace suite aux pillages opérés dans les années 1990, de sorte que le bâtiment a désormais perdu toute relation fonctionnelle avec son environnement portuaire.

En 2017, dans le cadre de l’opération «Réinventer la Seine» lancée par les villes du Havre, de Rouen et de Paris, le projet de transformer le chai en casino est retenu puis abandonné, car trop controversé. Le bâtiment est aujourd’hui dans l’attente d’un nouveau projet de reconversion.

Le chai de Rouen est un bâtiment en béton armé recouvert d’un parement de brique associant toit terrasse et shed. Il est construit sur un plan en croix à facettes et mesure en plan 51,50 m de longueur sur 20 m de largeur. Aux quatre coins du bâtiment, des pans coupés ménagent des retraits de 11 m par 5,35 m. Sa hauteur est de 13,40 au niveau de l’acrotère.

Il comprend un sous-sol, un rez-de-chaussée et 3 étages. Les cuves de stockage sont réparties en 4 blocs de 18 000 hl chacun, chaque bloc comprenant 3 étage superposés (6 000 hl par étage). Des cuves, dites de passage, d’une contenance de 24 000 hl, sont disposées au sous-sol. Ces dernières servent à la vidange des purges des canalisations, des lies et des eaux de lavage des cuves de transit.

Le poste de distribution (de 8 rampes) dédié au chargement des camions citernes qui prolongeait à l’est le bâtiment n’existe plus.

  • Murs
    • béton béton armé
    • brique maçonnerie revêtement
  • Toits
    béton en couverture
  • Plans
    plan en croix grecque
  • Étages
    3 étages carrés
  • Couvrements
    • charpente en béton armé apparente
  • Couvertures
    • terrasse
    • shed
  • Énergies
    • énergie électrique achetée
  • État de conservation
    établissement industriel désaffecté, mauvais état
  • Statut de la propriété
    propriété d'un établissement public
  • Intérêt de l'œuvre
    à signaler

Documents d'archives

  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/59. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage public du port de Rouen.

    Chai : règlement d'exploitation, 1952.
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/67. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Chai : règlement d'exploitation, 1958
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/199. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Chai à vins : conditions générales, correspondance. (1950-52)
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/202. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Création d'un poste supplémentaire en amont : rapport de la Commission du Port.
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/202. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Construction du poste Bacchus et extension des postes vers l'aval, 1951-52.
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/207. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Réfection des cuves du chai à vin par les Etablissements Michel Aubrun, 1955.
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/208. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Installation d'un chai à vins : documentation, plan, 1955-58.
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 06/209. Reconstruction. Études et travaux : port de Rouen. Outillage du port de Rouen.

    Chai à vin de la Chambre de Commerce de Rouen, documentation, 1957.
  • AD Seine-Maritime. 13 ETP 14/237. Chambre de Commerce. Études et travaux, voies et moyens de communication, ports maritimes.

    Entretien et équipement du chai à vin, 1960-65.

Bibliographie

  • BOUCHET André. Le nouveau chai à vin de la Chambre de Commerce de Rouen. Paris, ed. Chambre de Commerce de Rouen, 1951, pp. 259 – 270

  • PEYRONNET, R. Le plus grand chai d’Europe. In La revue de Rouen, 4e année, n° 32, 1951, p. 21-28

  • ADOUT, Jean. Le chai à vin de la Chambre de Commerce a deux ans d’existence. In La revue de Rouen, 6e année, n° 1, 1953, p. 12-20

  • PORT DE ROUEN. Le chai-relais. Document interne, décembre 1968, 8 p.

    Grand Port Mariime de Rouen
  • DECOUX, Jérôme. Rouen, port de mer. Rouen, Inventaire général, coll. Images du patrimoine, ed CPHN, 1999, 88 p.

    p. 75

Périodiques

  • BIETTE, Emile. Le plus grand chai d’Europe. In La revue de Rouen, 1e année, n°1, 1947, p. 16-17

  • QUEREEL Patrice, THIOLLENT, Benoit. A la santé du Chai. Coup de gueule de Patrice Quéréel. In: Études Normandes, 54e année, n°3, 2005.

    pp. 25-30.
Date(s) d'enquête : 1995; Date(s) de rédaction : 1996, 2005
(c) Région Normandie - Inventaire général
Real Emmanuelle
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Chargée de recherches à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Haute-Normandie, puis de Normandie, depuis 1992. Spécialité : patrimoine industriel.

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Decoux Jérôme
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